On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



Qu'est-ce que la patrie Normande ?

Compte-rendu de la conférence de Jean-François Bollens du 11 février 2010

Il y a deux semaines se tenait à Rouen la deuxième réunion du Cercle Pierre Corneille. A cette occasion Jean-François Bollens nous a fait l’amitié de prendre la parole pour exposer sa définition de la patrie normande. Cette conférence s’inscrivait dans le cadre de notre réflexion sur la notion de patrie charnelle, principalement axée sur les écrits de Jean Mabire réunis dans le recueil La Torche et le Glaive. L’étendue du sujet et sa forme interrogative laissait supposer une liberté totale à l’orateur et une tâche ardue. Le défi fut relevé avec brio, et même si notre connaissance en la matière est encore à parfaire, il est honnête de dire que l’allocution du Veilleur de Proue nous a indiqué les chemins à emprunter pour découvrir l’âme et les ressources de notre Normandie.
En guise d’introduction, M. Bollens nous mit en garde en affirmant que ses propos seraient « subjectifs, irrationnels et émotionnels ». Cette position iconoclaste ne doit pas laisser entendre que le discours ne respectait aucune règle et manquait de sérieux. Bien au contraire, la subjectivité affirmée de son auteur a ouvert une conversation libre et franche et permis d’atteindre une universalité bien comprise. De plus, l’irrationalité revendiquée n’empêche pas la méthode. C’est donc par l’étude et le commentaire de quelques textes que le terme de patrie fut expliqué et assimilé. Parmi ces textes qui ont servi de piliers à la formation intellectuelle et morale de notre intervenant, citons particulièrement La patrie et La charrue de Maît’Jean, le Catéchisme de la Patrie du Colonel Rémy, L’inégalité protectrice de Maurras.

Patrie et Nation

Réfléchir sur la patrie, c’est aussi aborder la question de l’identité et de l’être même d’une communauté. Ce n’est pas une démarche aisée car l’être ne s’idéologise pas. Il est bien trop complexe pour cela. Donner une définition rigoureuse et mathématique de l’essence d’un peuple est dangereux et impossible. A contrario, cela ne signifie aucunement que cette essence n’existe pas, ou que ses mutations naturelles la privent de sa pérennité. Les principales questions à se poser sont les plus simples : pourquoi ? d’où ? comment ? Il faut donc remonter au cœur même de la civilisation européenne pour comprendre la nécessité et la naissance de la notion de patrie. Outre l’attachement inébranlable d’Ulysse pour Ithaque, les sources foisonnent dans la littérature antique. Ainsi Sophocle dans Antigone exprime par la voix de la jeune vierge ce qui constitue le caractère sacré de la terre qui est nôtre. En plaidant face à Créon pour que son frère puisse être enterré selon les rites et à l’intérieur de sa Cité, Antigone rappelle que la patrie, c’est avant tout le lieu où repose les défunts, un « cimetière » qu’il importe de défendre bec et ongles. Certes la patrie ne se réduit pas à ses morts, mais c’est leur culte et la continuité de leurs œuvres qui en est la part sacrée et principale. Leur chair s’est fondue dans le pays qui les a vus naître et combattre pour lui. Leur sang a nourri les sols les plus ingrats, et lorsqu’on parle de patrie charnelle, c’est de cela dont il s’agit. La chair de laquelle nous sommes issus est présente dans la glèbe que nous cultivons et que nous défendons. Il y a une unicité intemporelle entre les hommes et leur terroir. S’il existe un droit du sol, il est inséparable du droit du sang.
Tout le monde connaît l’expression de Barrès sur « la terre et les morts » et l’erreur serait de confondre patriotisme et pompes funèbres. De la même manière, n’associons pas engagement politique et nostalgie. Car la patrie, c’est aussi la communauté des vivants, une communauté politique maintenue par une éducation en vue du bien commun. A l’inverse, la nation revue et corrigée par la Révolution n’est qu’un conglomérat d’individus unis par l’intérêt selon la vision libérale. Elle est la résultante juridique du contrat social théorisé par Rousseau. Aujourd’hui le mot de « nation » est lui-même relégué dans l’enfer du vocabulaire au profit de celui de « République ». Mais au regard de l’histoire, il existe bel et bien « deux patries » pour reprendre le titre célèbre d’un ouvrage de Jean de Viguerie. L’une réelle et charnelle, l’autre abstraite et idéologique. D’ailleurs nous ne sommes pas là pour défendre un pré carré dont la raison d’être se limite à la déclaration des droits de l’homme, car « le patriotisme importe davantage que la Nation » (Jean Mabire) et peu nous chaut honnêtement de l’écroulement de la République française. Notre patrie n’existe pas parce que nous le voulons et nous le souhaitons, comme semblait le croire Morvan Lebesque dans son texte Comment peut-on être Breton ? Elle nous préexiste et nous succédera tout simplement : c’est une réalité objective qu’il faut certes entretenir et développer, mais qu’il est impossible de nier quoiqu’on peut la renier.

Capitalistes et paysans


Face à l’abstraction révolutionnaire s’est toujours dressé un être dont l’intérêt se conjuguait avec le devoir. Depuis le XVIII° siècle et le début de l’inlassable marche vers le Progrès, il est l’homme à abattre. Ce célèbre résistant, c’est le paysan. Pourquoi ? Parce qu’il manifeste plusieurs qualités particulières dont le monde moderne aimerait être débarrassé. Nous pouvons énumérer son refus de nier le réel et son rejet de l’uniformisation, sa perception de la différence et de l’inégalité des hommes, sa sagesse issue de l’expérience, son sens de la propriété compatible avec l’association. Parallèlement il est impensable d’imaginer une patrie sans paysans, car le sens de la terre, c’est eux qui le possèdent. Plus crûment, ils sont les seuls à en connaître le prix. Quand le paysan part combattre l’envahisseur, il n’abandonne pas son lopin de terre au nom des grandes idées. Il se bat pour ce qu’il connaît, sa chaumière, ses bêtes et sa famille, et parce que son bien est en danger. Les esprits faux trouveront cela mesquin, mais il n’est pas homme de guerre, seulement au service de la terre. C’est pourquoi envoyer des milliers de paysans se battre pour défendre la République en danger en 1793 ou dans les tranchées en 14-18, ce fut profondément criminel et inutile, mais surtout contre-nature. Conséquences de ces multiples guerres meurtrières et des exodes imposés par l’économie, le paysan a presque disparu des campagnes, et avec lui les traditions et le respect de la terre. L’agriculteur moderne, à cheval entre le manager d’entreprise et l’industriel sur le retour, n’a que peu de ressemblance avec l’homme du pays. Souvent obsédé par le rendement, négligeant le paysage, maître d’exploitations démesurées, plus chimiste que cultivateur, il oublie qu’il est redevable de la terre qui l’enrichit.
Y a-t-il encore des paysans alors ? Certains ont su raison garder et affronter les multiples obstacles qui voulaient les priver de leur liberté et de leur santé. De plus, c’est à nous qu’il incombe de reprendre ce qualificatif glorieux de paysans. Il s’agit des hommes du pays, de ceux qui le cultivent par la terre ou par l’esprit, qui le connaissent et qui l’aiment. De la même manière et à ce titre nous sommes des capitalistes. Non pas des partisans du marché et du commerce à tout crin, mais des gardiens du capital millénaire que la Normandie nous a légué. Capital riche d’histoire, de culture, de terres, de coutumes, qu’il importe de sauvegarder et de fructifier en ces temps de disettes économique et spirituelle.
Sans doute ce compte-rendu n’a-t-il pas réussi à faire sentir et goûter toute la fraîcheur et l’émotion qui ont fait le suc de cette conférence, dont nous remercions encore l’auteur. Se concentrant sur la substantifique moelle des propos alors tenus, espérons que la sécheresse de ce résumé ne nuira pas à son intérêt et à sa compréhension.

Bibliographie succincte fournie par l’intervenant :
- La charrue et La Patrie in La Torche et le Glaive de Jean Mabire
- L’inégalité protectrice et Le paysan in Mes idées politiques de Charles Maurras
- Catéchisme de la patrie du Colonel Rémy
- Comment peut-on être Breton ? de Morvan Lebesque
- Composition française. Retour sur une enfance bretonne de Mona Ozouf