On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



lundi

Runes, automne 1993


Éditorial


de … Philippe Woodland

Notre mouvement s’est donné pour but de réanimer les forces vives de la Normandie, de faire gagner aux Northmen le pari du vingt-et-unième siècle et, d’abord, d’obtenir la réunification de notre Pays. Son rôle s’apparente donc à celui d’un groupe de pression. Car si notre action possède une dimension politique, le politique ne constitue pas sa finalité unique […] mais existe-t-il des types d’élections adaptés à sa vocation ?

Les affaires communales et départementales ont un caractère particulier. Si leur solution est, en réalité, liée à l’essor de la Région toute entière, les élus locaux suffisent à y donner satisfaction. Les militants régionalistes ne peuvent tenir tous les fronts en même temps, ce qui n’empêche nullement certains d’entre eux d’assumer des responsabilités locales et d’y sentir la nécessité d’une vraie régionalisation.

Les élections nationales. Elles ne correspondent pas, en principe, à notre action […] il est certain que les députés représentent une volonté qui s’exprime au niveau national. Même si l’essentiel de leur rôle consiste à appuyer les dossiers de leur circonscription.

Quand aux sénatoriales, le système électoral en fait le domaine réservé des notables.

Il faut également songer que les partis nationaux sont armés pour ce genre de confrontation et, en général, bien implantés. Notre vocation n’est pas de les affronter sur leur propre terrain, mais de rappeler sans relâche les idées régionalistes. Celles-ci constituent pour les partis le domaine habituel des promesses non tenues ; et l’opinion s’y laisse trop souvent abuser. Cette constatation pourrait nous pousser à agir, car force est de constater que « notre terrain naturel », celui des élections régionales, est tout à fait insuffisant.

Nous sommes très loin de l’électoralisme. Car celui-ci constitue une fin en soi. Alors que notre souci primordial reste l’efficacité du combat pour les idées Normandes. Mais cette efficacité peut commander de porter notre action sur le terrain électoral, pour y être les empêcheurs de faire tourner en rond la machine des élections qui exclue le régionalisme de son jeu.

Notre but ne saurait être seulement de faire des voix. Si tel était le cas, il vaudrait mieux renoncer tout de suite. On peut malgré tout observer que nos voix pèseraient plus lourd que celles de la « majorité silencieuse ». et les dernières élections présidentielles ont montré que les partis politiques importants pouvaient faire très peu de voix. L’essentiel pour nous est que naisse un courant, non pas vraiment d’opinion, car celle-ci est versatile, mais d’intérêt et, pourquoi pas, de militantisme en faveur de la cause Normande. Témoigner de l’existence d’un mouvement comme le nôtre n’est pas un résultat négligeable […]

En définitive, le plus important est qu’il existe un large consensus au sein du Mouvement sur le ses de l’action à entreprendre […] De la discussion jaillit la lumière. À condition toutefois de parler le même langage. Tous les militants du Mouvement normand partagent une certaine vision de l’avenir de notre pays, les espoirs que nous plaçons dans les idées régionalistes. C’est à eux que reviendra la décision. Quelle qu’elle soit, nous ne doutons pas qu’elle permettra d’assurer la continuité du combat pour nos idées.

Haro-l’Œuf n°99
Septembre 1972

Vers un nouvel aménagement du territoire !

La classe politique française ne sait plus comment faire face à la situation économique et sociale. Certains semblent redécouvrir les vertus de l'aménagement du territoire, mais négligent de préciser qu'aucun progrès ne sera réalisé s'il n'est mis fin à l'hypertrophie de l'Ile de France où sont concentrés tous les pouvoirs et les moyens qui règlent nos destinées.

L'aménagement du territoire n'est pas la panacée qui résout tous les problèmes après quelques incantations. C'est une politique à long terme dont le but doit être l'harmonisation des ressources humaines et matérielles pour assurer l'intérêt général.

La France est, sans aucun doute, le modèle du centralisme, inégalable au moins dans la durée. Les structures bureaucratiques omniprésentes offrent une impunité à ses serviteurs qui ferait pâlir d'envie tous les dictateurs. Les résultats d'un tel système sont éclatants : l'Ile de France est, en poids, la première des régions ; elle concentre sur deux pour cent de l'hexagone un tiers de la richesse nationale, deux-tiers du "tertiaire" supérieur, soixante-sept pour cent des diplômés de l'enseignement supérieur. Cette richesse de moyens n'attire pas que la richesse et si le ministre de l'Intérieur décide d'ouvrir un débat national sur l'aménagement du territoire, ce n'est certainement pas pour, subitement, partager ses meilleures cartes avec des partenaires provinciaux.

– L'Ile de France prend conscience que l'ouverture des partenaires européens vers l'Est a déplacé l'axe industriel de la communauté européenne vers l'Orient, minimisant la place de Paris, donc de la France, dans le concert des douze. Les atermoiements de la Bundes Bank lors de l'assaut estival contre le Franc en sont un avertissement.

– L'Ile de France est une région, son territoire n'est pas extensible. La croissance démographique et les mœurs actuelles ne permettant pas de continuer indéfiniment d'entasser verticalement ses nouveaux habitants, un partenariat s'impose avec les autres collectivités du Bassin parisien.

– La première solution envisagée a été le Grand Bassin Parisien. Cette machine de guerre contre les provinces limitrophes aurait impliqué une approche trop longue et trop de moyens pour mettre Normandie, Champagne et autres Picardie en coupe réglée.

– La seconde possibilité c'est de présenter un aménagement du territoire profitable pour l’ensemble des régions périphériques. Tout le monde a son mot à dire et sa part de responsabilités à assumer, pour que des cadres supérieurs qui peuvent supporter les coûts de vie ou immobiliers d'une mégalopole restent près de la capitale et les autres : jeunes, cadres intermédiaires du tertiaire et moins jeunes, puissent trouver de nouvelles terres d'asile à la portée de leurs moyens.
Ce second scénario, qui s'inscrit localement dans le sens des conclusions du Projet Régional d’ Aménagement du Territoire "haut" Normand, autant que dans les souhaits vertueux de Charles Pasqua, sera certainement la solution retenue pour la plus grande satisfaction de tous. Bien que ...

Réfléchissons bien.

Compte tenu de la situation économique, les jeunes rencontrent de plus en plus de problèmes pour s'intégrer à la vie active. La crise que nous traversons est dénoncée depuis vingt ans comme liée à la conjoncture, mais si elle était structurelle comme quelques uns commencent à le dire ? Cela nous changerait du credo entendu ! Le problème irait alors, donc, en croissant.

Les actifs du tertiaire ? Activité merveilleuse, non polluante ... c'est bien le tertiaire, mais avons-nous assez marqué notre opposition aux turbo-profs pour accepter que la région devienne un dortoir en contrepartie du plat de lentilles que figurerait l'amélioration des communications qu'on nous refuse depuis vingt ans ? Allons-nous nous résigner à dépenser un milliard six cents millions pour former des diplômés qui iront produire ailleurs ?

Quant au troisième âge – en dehors de toute considération financière (puisque passé cinq ans les coûts sociaux sont à la charge des collectivités d'accueil, que la retraite est à soixante ans et que l'espérance de vie s'accroît de trois mois tous les ans) – reconnaissons que ce n'est pas une hypothèse de développement régional très dynamique.

Il faut malgré tout raison garder. Le département de Seine-Maritime est le premier de France pour le surendettement. L'industrie Normande est soumise à des pressions extérieures de plus en plus fortes à mesure que ses centres de décisions s'éloignent de Normandie. Il n'est pour exemple que de se rappeler l'affaire des cimentiers des mois de juillet-août à propos d'implantation sur le Port « Autonome » de Rouen. Enfin, la Normandie, même avec les îles, ne représente pas le tiers des résidents d'Ile de France.

Il nous faut donc composer Nous ne sommes en mesure d'imposer nos volontés que pour sauvegarder ce qui nous est essentiel, et pour commencer l'identité de notre peuple Normand.

Faute de volontés politiques, nous n'avons pas été en mesure de contrôler l'occupation de notre territoire sur l'axe séquanien, si bien que jusqu'à Vernon nous somme plus emparisiannisé que Louis Beuve ne pouvait le dire de l'embretonnement du sud de la Manche. Il est donc nécessaire, sinon urgent, de tout mettre en œuvre pour qu'au-delà des contreparties techniques qui nous seront offertes d'ici la fin du IXème Plan, c'est à dire 2015, nous affirmions avec la plus grande énergie notre volonté de rester Normands en Normandie, que nous prouvions notre capacité à exister en tant que tels.

Nous ne voulons pas d'une Normandie où la certitude de limiter notre déclin s'échangerait avec celle de notre disparition.
Gilbert Crespin

Anniversaire de la libération

A l'occasion du cinquantième anniversaire de la libération François Mitterrand exalte l'identité (Corse).

« Je souhaite, je veux que les (Corses) se sentent maitres de leurs affaires dans tous les domaines qui relèvent de leurs compétences [...] Personne ne peut trancher à leur place des problèmes qui sont les leurs »
Remplacez (Corse) par Normand, méditez cette citation et cherchez attentivement si il se dit quelque chose d'identique en hommage aux populations civiles Normandes, le 6 juin 1994.

GATT : Reprise de dialogue sur ton de guerre économique.

Les États-Unis, gendarme du Monde, veulent désormais régler l'ensemble des activités de la planète à visage découvert. Si leur méthode est aussi bonne que celle utilisée en Somalie, ils n'ont pas fini de regretter leurs exploits Indochinois. Mais, n'est pas somalien qui veut, et l'Europe cherche toujours, sinon des capitaines, des chefs, éventuellement pugnaces, puisque la mode est au style « correspondant de guerre ».

Notre propos de juin sur le sous-développement des U.S.A. n'était donc pas dénué de bon sens.

Le premier ministre du gouvernement français a haussé le ton en juin de cette année. Édouard Balladur a osé mettre en préalable à la réunion des « sept grands » « la levée des sanctions unilatérales prises par les Américains, notamment sur l'acier », refusant de nous soumettre « à une loi nationale qui n'est pas le respect d'une loi internationale ».
Agréer le préaccord de Blair House, « signé » entre la Communauté Européenne et les américains, en n'utilisant pas le droit de veto reviendrait, de la part des représentants français, à un acte de conciliation indécente, pour ne pas écrire : de soumission déguisée. Outre le fait que nous bradons notre indépendance alimentaire durement acquise au prix d'une restructuration agricole, dont l'empirisme a eu des effets négatifs tant pour le monde agricole que pour la qualité de notre environnement, c'est négocier un deal avec des gens dont les intérêts sont d'aboutir à la mainmise sur l'économie mondiale. Comme si les velléités théâtrales d'une république canonnière pouvaient auréoler les américains d'une quelconque autorité morale. Les États-Unis n'ont pas plus de morale que ceux qui compromettront leur signature sur un préaccord qui n'a existé qu'après qu'on en ait abreuvé abusivement l'opinion publique. Si nous n'en n'étions qu'à vouloir sacrifier l'agriculture sur l'autel de la bienveillance de l'oncle Sam ce serait déjà une trahison. Mais, au-delà des cultures agraires, ce sont les Cultures identitaires des peuples d'Europe et du Tiers Monde que nous offririons au lavage de mémoire. Sous le parc Eurodisney pointe le symbole de cet abandon lâche et criminel qui devrait interdire à certain homme politique de prodiguer ses avis, surtout quand on sait les discours faits en Amérique Centrale et les ponts d'or offerts pour geler les terres franciliennes sous la manifestation d'une culture impérialiste. Le donneur de leçons Lang servira-t-il de modèle de compromission à Édouard Balladur ?

Dans un premier temps le GATT semblait ne s'intéresser qu'à l'agriculture, soit une minorité d'actifs. Puis, ce furent les industries, dans lesquelles nous montrions notre compétitivité, qui furent l'objet de mesures restrictives et protectionnistes. Aujourd'hui, c'est l'essence même de nos peuples que l'on veut remettre en cause, car la culture « de masse » est un marché où l'hégémonie libertarienne doit pouvoir, là aussi, s'affirmer.
Les paysans nous ont montré la voie. Les pays du Tiers-Monde résistent eux aussi. Les peuples de l'est de l'Europe, déçus des espoirs qu'ils avaient placé en nous, confient de nouveau leur destin à ceux qu'avant hier ils avaient destitué. Seule la Russie, pour qui les aides continuent d'arriver, semble ne pas regretter l'« Ancien Régime », mais pour combien de temps ?

Devrons-nous, sous prétexte d'une solidarité contre un danger que l'on ne veut pas plus nommer que combattre, devenir les artisans de notre futur esclavage ?

François Delaunay

Histoire sans fin

Dans la dernière livraison de runes, nous soulignions que la durée du trajet Dieppe-Paris c'était allongée de trente minutes en soixante ans. Mais, comme avec la S.N.C.F. « le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous », nous pouvons vous annoncer que les relations ferroviaires Est -Ouest ont battu cet été un record qui risque de ne pas être égalé avant longtemps :

Beauvais-Caen, via Rouen – faut-il être masochiste pour snober Paris – en 11 heures !

Oui, c'est possible et cela pourrait durer jusqu'en 1995. Profitez-en avant que les travaux du tunnel Beauvoisine soient terminés. La S.N.C.F. ne désespère pas d'améliorer la situation ... Nous non plus, mais comme d'un autre côté la vieille dame généralise SOCRATE en le faisant adopter par British Rail et la S.N.C.F. Belge, on est en droit de se demander ce que les dirigeants de ce fleuron français entendent par …
... « améliorer ».

Jean François Bollens

Betterave

à YASMINE BUTEL, qui a « besoin d'idées » pour faire vivre son Bimensuel « En Direct de la région » grassement quadrichro aux frais du contribuable normand ! La pauvre fournit péniblement 6 informations sur 19 lignes, avec en prime un billet d'humeur hermétique et incompréhensible de 7 lignes pour « cadeau Bonux », sur un recto-verso.

Si nous ne lui attribuons qu'une fane de betterave, c'est que les dix-huit numéros, qu'elle a du commettre pendant ses insomnies, l'on à ce jour assez nourri à nos dépends.

Paris-Normandie est toujours capable...

« La Normandie sans aucun rapport », du 1er juillet,

Jean-Charles Gate n'hésite pas à impliquer notre responsabilité dans des « affaires » qui ne sont pas les nôtres et étale sur 230 centimètres carré de bon papier aux actualités régionales de ... Mantes Val Fourré dont les déboires en matière de chauffage nous laissent froids, tant ils ne concernent que les comptes de l'Ile de France.
Courageux, dans le même article, J.-C. Gate persiste avec les trous financiers du golf de Mers-les-Bains, mais les trous normands ont beau être célèbres et appréciés mondialement, ils n'ont rien de commun avec les trous picards, fussent-ils sévèrement condamnés par la Cour des Comptes.

Dans la même veine, Véronique Baud bouleverse les frontières de la Normandie administrative et situe allègrement le département de l'Orne en haute-Normandie. Notre consœur aurait-elle eu une crise de régionalite ?

Pour terminer en beauté le mois d'août, collectivement Mesdames et Messieurs Jean-Charles Gate, J G, Jacky Guyon, V R et Véronique Baud consacrent 46% de la page « actualités régionales » à des événements ayant eu lieu dans les départements des Yvelines et d'Eure et Loir.
Auraient-ils oublié de nous aviser que la Normandie annexait de nouveau les territoires limitrophes ?

Avec une telle équipe il n'y aura jamais de trêve au palmarès des betteraves, à moins que, avant que tout se gâte, Paris-Normandie n'offre des cours de géographie à ses collaborateurs. Les organisateurs de stages pratiquent des réductions aux entreprises pour des cessions collectives.


… du pire.

VIKING

Nous sommes une toute petite équipe. Des « jeunes » comme ils disent avec une nuance de mépris. Sur les routes et dans les camps, nous avons cherché – inlassablement – les causes de cette force que nous sentions en nous, les raisons de cette lutte que nous entreprenions un peu au hasard, les certitudes de cette victoire que nous voulions sans cesse plus rayonnante. Et un jour, au détour d'un chemin, au tournant d'un livre, nous avons découvert dans le vent du Nord la certitude et la réalité. Venus de Paris, venus d'ailleurs, nous retournons vers notre peuple et vers notre sol, vers cette admirable unité des pays normands.

Nous avons fait un long voyage. Nous avons marché avec des camarades inconnus, nous avons partagé le pain des étapes et la paille de l'auberge. Et le soir, au feu de camp, quand tous dansaient et quand tous chantaient, nous avons dû nous taire et rester assis. Nos pères ne nous avaient pas appris le chant de leurs pères. Nous ne pouvions que regarder le feu, nous demander « pourquoi pas nous ? » et essayer de nous rappeler une très vieille histoire.

Autrefois vivait un peuple, admirable mélange de Celtes, de Germains et de Scandinaves. L'un des plus grands, à l'aube du Moyen-âge – Le peuple normand – Notre Peuple.

L'esprit d'aventure allié à l'esprit de prudence, la sagesse et l'organisation firent de cette terre mieux qu'un royaume: un exemple.

Aujourd'hui, dans le chant du monde et dans les ruines de la guerre, patiemment, les normands reconstruisent la Normandie.

Mais un pays qui veut vivre n'a pas seulement besoin de bras et de machines ; il a aussi besoin de son âme.
Et à côté de cet immense effort de reconstruction – auquel nous voulons participer, nous croyons indispensable de rechercher l'ESPRIT dans lequel doit vivre la jeunesse de Normandie.
Et nous ne craignons pas de nous affirmer comme le grand poète normand disparu, Charles Théophile FERRET, « Scandinaves jusqu'à la moelle »...

VIKING est notre nom.

Et n'oublions pas qu'en vieux français l'adjectif NOROIS signifiait FIER.

Jean Mabire
Mars 1949

Quel avenir pour runes ?

Notre confrère "globe-hebdo" renaît de ses cendres, après un an d'absence, avec entre’ autres, le concours, à hauteur de 8,66 milliards de francs pour trois ans, de l'Union Normande d'Investissements.
Ce magazine, non militant, mais européaniste, au tirage prévu de 60.000 exemplaires, espère, grâce à cette céleste manne providentielle, être rentable ...

... en 1997 !

Grand bien leur fasse.

Quand à ce qui nous préoccupe. Runes est une lettre militante, normande et européenne, engagée dans l'affirmation subjective de la permanence de notre identité : sans hauteur, ni bassesse, mais normande et adulte, donc autonome. Pour cela nous ne comptons que sur le soutien méritoire de nos amis, adhérents et abonnés. Soutien d'autan plus méritoire que la conjoncture est douloureuse, mais que la priorité d'assurer la relève de notre idéal par de jeunes normands est nécessaire si nous voulons voir demain continuer et gagner notre combat.
Huit milliards de francs pour trois ans, c'est ramené à notre tirage dix mille francs, avec lesquels nous maintiendrons.
Mais si nous voulons toucher toujours plus de sympathisants, ce sont des adresses, des abonnements, des soutiens supplémentaires en demandant votre carte de Nationalité Normande ou en complétant votre collection de Runes.

Notre combat se résume en victoires et échecs.
Mais d'avoir à combattre nous maintient jeunes.
On est vieux quand on ne se bat plus,
quand on est résigné.
Nous ne serons jamais résignés.
Nous voulons mourir toujours jeunes !

mercredi

Runes, été 1993


Éditorial

... Riccardo Petrella


Que nous le voulions ou non, nous subissons des définitions. Nous utilisons des mots qui sont le plus souvent ambigus, donc imprécis. Le mot « région » en est un. Son ambiguïté est due au fait qu'il est utilisé pour définir des réalités vécues comme extrêmement hétérogènes.

Ainsi, nombreux sont les Catalans, les Basques, les Écossais, les Gallois, parmi quelques exemples, qui sont vivement opposés à l'usage du terme « région » pour désigner la communauté à laquelle ils appartiennent. Pour eux, « région » est un terme réducteur, car il renvoie à celui de « nation » : d'où il y aurait des nations (celles qui se caractérisent par un État) et des régions (parties d'un État), alors que – disent-ils – la Catalogne, les Pays Basques, l'Écosse, etc., sont des nations sans État

Le mot « nation » revient chez d'autres populations, au sein desquelles des groupes parlent de plus en plus fréquemment de nation bretonne, alsacienne, corse, sarde ... Les réactions négatives que soulève une telle appropriation du mot nation sont dues – disent-ils – au fait que l'on a systématiquement et délibérément confondu nationalité et citoyenneté, nation et État-nation. Alors que la nation est un groupe relativement stable et de formation récente en Europe, qui constitue, à l'heure actuelle, l'une des formes de la vie collective associée, l'État-nation a prétendu réduire au niveau du fait étatique (l'État) le fait national, en essayant (souvent avec succès) d'éliminer la multiplicité des nationalités.

Il a rendu identique dans les principes et dans la pratique ce que d'autres États n'ont pas rendu identique : d'une part, la nationalité (par exemple slovène, macédonienne, ukrainienne, etc.) et, d'autre part, la citoyenneté (yougoslave, soviétique, etc.).

Bien que la conscience d'être une nation ne paraisse pas, pour l'instant du moins, être aussi manifestement ressentie par l'ensemble des populations mentionnées ci-dessus, il n'en est pas moins vrai que, parmi les habitants de ces « régions », il existe une conscience diffuse d'appartenir à un espace humain, culturel et historique distinct.

Chaque époque, chaque génération écrit son histoire et produit l'image qu'elle se fait de son passé. En ce sens, elle réinterprète l'histoire écrite par les générations précédentes. Réinterpréter l'histoire ce n'est pas seulement le fait d'historiens professionnels qui apportent de nouveaux éclairages. C’est aussi le fait de groupes qui prennent conscience de leur histoire et, soucieux de leur avenir, jettent de nouveaux regards sur le passé.

Ainsi, on assiste ces dernières années à un regain d'actualité du débat sur l'identité, l'unité et la diversité culturelle de l'Europe.

Pour les uns, l'Europe est une civilisation, un Kulturkreis (espace culturel) fait d'héritages sans cesse repris et sans cesse réadaptés, tels que les libertés primitives celtiques, germaniques et slaves ; l'ordre juridique romain ; l'apport grec dans l'art, le théâtre, la poésie, la science, la philosophie, la théologie ; la religion judéo-chrétienne.

D'autres nient l'existence d'une unité culturelle et d'un espace européens. Certains parce que, pour aux, les seuls espaces qui peuvent être reconnus sont les espaces nationaux. Selon eux, le fait national est celui qui, dans l'histoire de l'Europe, a eu la seule dynamique de développement évidente, permanente : c'est le fait qui resterait permanent dans l'avenir. En outre, opérant une grave confusion entre le fait national et le fait État-nation, ce courant d'opinion estime que la cristallisation de patries et d'États nationaux est le phénomène dominant de l'histoire de l'Europe. À ceux qui objectent que l'histoire nationale et, à plus forte raison, l'histoire de l'État-nation demeurent incapables d'expliquer les faits culturels de l'Europe, car pour juger et comprendre ces faits, c'est toujours au-delà et en deçà de la nation et de l'État-nation qu'il faut faire appel, ils rétorquent que ces faits culturels ont été spécifiés, précisés, au niveau de la nation et de l'État-nation.

D'autres, encore nient cette unité parce que ce qui leur parait évident, c'est l'existence de plusieurs Europes, dont les liens et les interrelations ne sont pas de nature à permettre de considérer ces différentes Europes comme parties intégrantes d'un tout.

Dès lors, plutôt que de chercher l'unité culturelle de l'Europe, il importe davantage d'essayer de comprendre comment sont nés et se sont développés les différenciations et les rapports inégaux entre régions ; en fonction de quels mécanismes les États-nations se sont constitués, pour donner à l'Europe l'histoire que l'on connait; et pourquoi on assiste à l'heure actuelle à cette explosion de conflits et d'oppositions au sein des États-nations entre la périphérie et le centre.
La renaissance des cultures régionales en Europe
Éditions Entente 1978

1204-1450

Ces deux dates sonnent comme un glas.
Elles résonnent à nos oreilles, comme en nos cœurs, aussi douloureusement que 1944.
Ces deux jalons posés sur le chemin de l'histoire de la Normandie marquent les moments de notre aliénation. Notre destin mérite-t-il encore le noble qualificatif de « normand » ? Et dans l'affirmative, s'il est toujours vrai qu'en politique le désespoir est une sottise absolue, quels moyens voulons-nous laisser à nos enfants pour décider de quel sceau ils veulent marquer leur page d'histoire normande ?
À l'heure où un nouveau gouvernement, dans l'indifférence quasi générale, tente de mettre en place « allegro ma non tropo » une réforme du code de la nationalité dont on peut s'interroger sur les conséquences réelles ou espérées, force nous est faite de constater que l'homme de la rue se préoccupe de tout autre chose, malgré toute la bonne volonté des organisations caritatives, syndicales ou politiques, quand ce ne sont pas des ministres d'État qui récusent les élus de la Nation. Vu de la rue, la réforme du code de la nationalité anime un débat politique houleux. Comme toujours, les mouvements du panier de crabes de l'Assemblée Nationale monopolisent tous les regards, alors que les relations de l'homme de la rue, si elles ne font pas la Loi, n'en sont pas moins dignes d'intérêt, et, il y a deux ans, à peine, un tel projet de Loi aurait déclenché une émeute.
Une cinquantaine d'organisations, partis politiques et syndicats ont appelé à une journée d'action le 11 mai à Paris. La manifestation a réuni quelques centaines de personnes. Nous sommes loin des milliers de manifestants descendus dans la rue pour « protester » contre la mort d'un voleur de moto, tué par la police au terme d'une course poursuite dans une banlieue chaude.
Car vu de la rue, la situation n'est jamais la même que celle vue par la presse ou du haut du perchoir de l'Assemblée Nationale.
Selon un sondage CSA/Le Parisien, soixante-seize pour cent des français approuvent la suppression de l'automaticité de l'attribution de la nationalité aux jeunes nés en France de parents étrangers.
Si cela reflète assez peu le malaise de bien des français de souche qui, au fil des années, ont vu la nation accueillir à bras ouverts les immigrés, et qui voient aujourd'hui ceux-ci ne pas répondre aux espoirs utopiques que nos divers dirigeants ont fait miroiter, cela reflète bien mieux que trois-quarts des français n'oublient pas que ceux qui gouvernent ont été élus avec l'argent de ceux qui ont profité de la colonisation avant de se servir de l'immigration. Que vingt-cinq pour cent de la population résidente en France soit d'origine extra-européenne joue, à notre avis, fort peu dans les préoccupations de l'homme de la rue, de toute évidence plus intéressé par la baisse de son pouvoir d'achat, sinon par la remise en cause de son gagne-pain. Il ne faut pas se leurrer : si la réforme du code de la nationalité provoque si peu de réaction, c'est qu'il y a eu depuis quelques années un profond changement de mentalité dans la rue
Car vu de la rue, ce ne sont pas les chiffres des statistiques qui font la réalité quotidienne. Lorsque le sentiment d'insécurité s'accroît, ce sont des faits et non des courbes abstraites qui font monter la tension, et rien n'indique une prochaine et notable amélioration. Sans que la presse ne fasse cas des états d'âme du bon peuple, celui-ci approche lentement du ras le bol. Le fameux seuil de tolérance d'il y a quelques années a été largement franchi.
Pour ce qui est de la Normandie, il nous faut admettre que, si comme partout ailleurs en Europe, l'immigration peut-être un exutoire à l'exaspération de nos concitoyens, cette situation n'est pas à mettre au seul crédit des trente dernières années, loin s'en faut. Nous nous plaisons à rappeler que l'espace normand est un carrefour de civilisations, et, à ce titre, une terre d'accueil depuis sa plus haute antiquité. Jamais nous ne pourrons oublier que l'accueil a aussi évolué à certaines heures sombres de notre histoire [Normande, ndlr] : l'immigré des uns, est aussi le colon parti d'ailleurs... 1204 vit le remplacement des élites civiles normandes par des horzains attirés par la richesse non défendue du premier État moderne européen. 1450 fut le début de la substitution de nos élites intellectuelles, c'est à dire principalement le clergé normand, à ces deux dates nous pouvons ajouter l'exode rural commencé par la révolution industrielle et les saignées de 1914-1918 et 1939-1944 où nos populations, pour des intérêts stratégiques discutables, ont pu civilement participer à l'effort de libération. L'œuvre continue jusqu'à nos jours, puisque voici un an l'État français décidait de la fermeture de l'école de notariat de Rouen. Chose de peu d'importance, sinon que cette institution était la dernière à enseigner le droit normand sur le continent !
La réforme du code de la nationalité n'est qu'une manifestation supplémentaire d'un jacobinisme, version frileuse. Car, si la République Une et Indivisible avait compris que sa richesse réside dans la diversité, elle aurait su faire la différence entre citoyenneté et nationalité, elle aurait conservé un hexagone hérissé de libertés, et la société civile moins anémiée aurait été plus à même de « lutter contre » un phénomène qui n'est dangereux que par l'état de faiblesse d'une institution sclérosée.
À l'évidence, la réforme du code de la nationalité vient trop tard, les politiques peuvent débattre, la presse en faire écho, vue de la rue, une nouvelle loi laisse indifférents des peuples qui ont trop longtemps attendu.
Gilbert CRESPIN

Les villes,les départements et les régions au secours de l'État.

Confortement des quais de la Seine
Participation de la ville [de Rouen] :
« La ville participera, à hauteur de neuf millions de francs, à la consolidation des quais rive droite de la Seine, entre la section actuellement en travaux (en aval du Pont Guillaume le Conquérant) et le môle des bassins Saint Gervais, soit environ deux kilomètres. »

Lesquels kilomètres sont administrés par le Port Autonome, c'est-à-dire l'État !

M. Paul Caron, député, s'interroge sur les dépenses d'aides médicales liées au R.M.I. en ces termes :
« Ce nouveau système pèse sur les finances locales, et en particulier sur celles du département dont les dépenses d'aides médicales sont accrues de vingt-cinq pour cent ».

Alors que selon la loi de 1992, les départements n'ont aucun contrôle sur ces budgets ainsi distraits par l'État.

M. Daniel Colliard, élu régional et député, s'alarme à propos de la pêche :
« La situation est grave et plonge dans le désarroi des milliers de professionnels sur nos côtes ... Ils se retrouvent couverts de dettes. Ce sont les économies régionales qui sont frappées au cœur. Beaucoup reste à faire pour le secteur de la pêche, comme pour l'ensemble du monde maritime. »

L'ennui, c'est que la France n'a jamais voulu saisir l'intérêt de sa façade maritime, alors pour ses régions ...

Abonnez-vous !

Voici le huitième numéro de Runes.
Les abonnés qui nous soutiennent depuis deux ans ont vu la formule évoluer, les colonnes se remplir, évolution technique oblige, le style et la volonté de maintenir vivante notre identité normande s'affirmer.
Depuis notre numéro « automne 92 », de nouveaux lecteurs ont pu découvrir le travail d'une équipe jeune, parce qu'animée par des jeunes, qu'interpelle tout ce qui enrichit ou réduit notre patrimoine normand, et qui nous semble devoir intéresser, sinon tout régionaliste convaincu, du moins les normands bien nés.
Depuis septembre 91, la densité des textes a été multipliée par trois, mais nous ne tirons toujours qu'à deux cents exemplaires. Rassurez-vous, ce n'est pas par élitisme ou « confidentialisme ». bien que Runes se présente sous l'étiquette "Lettres d’O.D.I.N. », mais notre budget reste à notre image : jeune. Ceci nous contraint à n'utiliser qu'une partie restreinte du fichier d'amis rencontrés depuis neuf ans qu'existé O.D.I.N.-76
Aujourd'hui, il nous faut nous résigner à ne plus adresser Runes qu'aux amis qui nous ont soutenu financièrement ou qui, les temps étant durs pour tout le monde, nous auront fait la demande d'un nouveau service avant que les beaux jours ne leur reviennent.

D'avance nous vous remercions de votre soutien.

Les U.S.A. en voie de sous-développement.

Les accords du G.A.T.T. prévoient, outre la promotion des règles du libéralisme et l'expansion du commerce international, un code de bonne conduite.
C’est ainsi que l'accord entérine les préférences douanières entres les territoires ou pays en vigueur au moment de sa signature (i.e. le COMMONWEALTH) il est interdit d'en créer de nouvelles.

Cet accord institue le principe de non discrimination, et interdit aux pays contractants :
– de percevoir sur les produits étrangers des taxes intérieures plus élevées que celles perçues sur les produits nationaux ;
– de soumettre les produits étrangers à des lois, réglementations ou prescriptions affectant la vente, l'achat, le transport, la distribution, l'utilisation de ces produits, plus restrictives que celles applicables aux produits similaires nationaux.
Les deux cents pour cent de taxes et autres mesures vexatoires sont donc hors la loi, à moins que les négociateurs américains se prévalent de l'article XVIII et veuillent préserver les intérêts économiques de leur pays sous-développé.
Le F.M.I. et la Grande Presse Internationale n'ont, semble-t-il, pas été mis au courant de cette nouvelle donne. Et cela n'empêche pas nos ardents défenseurs de l'Europe de réclamer l'intervention U.S. dans les affaires de l'ex-Yougoslavie. Comme si l'exemple du Traité de Versailles, en 1919, ne servait à rien.
François DELAUNAY

betterave pour Charette

Une betterave d'Esteville sur la carte de Normandie du ministre du logement :

Hervé de CHARETTE

Le ministre du logement a rendu visite à l'abbé Pierre dans sa retraite d'Esteville, en Seine-Maritime, afin de s'entretenir avec lui du douloureux problème des mal logés. L'intention aurait été fort louable, si le cabinet du ministre s'était donné la peine d'en avertir les autorités locales.
En effet, Hervé de Charette, après avoir averti « la presse » : T.F.1, l'A.F.P.-PARIS et le PARISIEN LIBERE (ce qui apprendra à « Paris Normandie » à ne pas s'appeler PARIS tout court !), s'en est allé, avec son équipage s'aventurer dans notre Normandie sauvage et cruelle.
Sauvage, parce que le chauffeur du ministre n'a jamais trouvé la station de métro « ESTEVILLE ».
Cruelle, car le ministre s'est vu contraint d'appeler à l'aide un guide autochtone, à savoir le Préfet de région, mis jusqu'ici hors du coup.

Qu'est-ce qu'on dit, au fait, à propos de Charette et de Bœufs ?

Quand la S.N.C.F. fait peau neuve

Un grand plan va mettre la qualité au centre de la stratégie de modernisation, parmi ces éléments :

LA RE-GU-LA-RI-TE !

Donc la S.N.C.F. teste la régularité sur les lignes Paris-Nancy-Strasbourg et Paris-Clermont ! Mieux, sur cette dernière ligne, ainsi que sur Paris-Limoges-Toulouse, une expérience de « contrat qualité régularité » mérite l’attention : en cas de retard de plus d'une demi-heure, le supplément vous est remboursé ...

(Devinette) : Qu'est-ce qui c'est allongé d'une demie heure en soixante-trois ans ?

(Réponse) : La durée du trajet Dieppe-Paris.

Remboursés, oui ! Mais pas sur les lignes Normandes où les retards, ponctuels ou les allongements structurels des temps de trajet, s'accentuent d'année en année. Même le Sénat s’alarme !
La S.N.C.F. n'a non seulement plus de mission de service public définie, mais de plus son obligation d'équilibrer ses comptes n'est pas respectée, bilan : six milliards de déficit prévus pour 1993, cent quarante-deux milliards d'endettement.
Le coût des infrastructures dépasse les seuls moyens de la vieille dame, et la reprise en main de la définition des objectifs prioritaires par le Parlement de Parts, si elle annonce la volonté de recentrer l'activité ferroviaire vers le service public (il serait grand temps !), risque de voir envolés les appels du pied des Conseils régionaux pour obtenir le T.G.V.
Pour attirer toujours plus d'usagers vers le train, la S.N.C.F. met en place des tarifs compétitifs ; l'effort portera sur les villes situées à plus de trois heures et demie de trajet. D'où l'énhaurme publicité faite aux une heure vingt-neuf minutes du T.G.V. Nord Europe (Paris-Lille) qui offre à la métropole des Flandres de nouveaux atouts pour favoriser la délocalisation, hors de Normandie, de nos administrations et entreprises à vocation internationale. Pour tous les Normands un grand MER-CI à la vieille dame.
Enfin, dernière bonne nouvelle, « l'accès aux gares doit-être facilité, ce qui nécessite parfois des aménagements importants. Les collectivités locales sont alors les partenaires privilégiées de la S.N.C.F. » ; ce qui prouve que les normands ne sont pas complètement oubliés.
Le tableau n'est pas tout à fart noir, à condition que les mesures financières ne soient pas, par la suite, révisées à la baisse : il serait question que les crédits d’État affectés aux services régionaux de la S.N.C.F. soient affectés aux Conseils régionaux, lesquels auraient plus d'autonomie. Mais il reste, localement, un point sur lequel l'incidence des budgets de l'État serait nulle, compte tenu de la sur-nucléarisation du littoral normand : l'électrification de toutes nos lignes régionales.
Loin d'être un somptueux cadeau, ce serait une contrepartie minimale morale.
Jean François BOLLENS

Écologie, la nouvelle bataille de Normandie

La Normandie est non seulement un refuge pour les parisiens, c'est surtout une région dotée d'une industrie très puissante : la chimie, les raffineries, le nucléaire symbolisent son aspect fortement compromis en matière d'environnement.
56 sites visés par les directives « Seveso », 8 réacteurs nucléaires et l'usine de la Hague renforcent cette mauvaise présentation touristique. Mais, quoiqu'en disent les détracteurs de la qualité de vie en Normandie, en dix ans les chimistes « normands » ont diminué de deux-tiers leurs rejets de dioxyde de souffre, l'industrie des engrais ne rejette plus de phosphogypse en baie de Seine, Norsk-Hydro a fermé, l'autre stocke à terre (bénéfice trois cents chômeurs normands de plus), les rejets de matières organiques oxydables sont passés de trois cents tonnes à quatre-vingt tonnes par jour, les concentration de plomb et de poussière dans l'air ont été divisées par six en dix ans. Malgré ces efforts coûteux, en argent, mais surtout en emplois, il ne se passe pas de semaine sans que les risques industriels, les nuisances et atteintes à l'environnement dans notre région soient mises en exergue dans les médias ou brandies par des portes paroles d'associations ou de mouvements politiques ... Malheureusement, ces prises de position sont presque toujours isolées du contexte social et économique.
Diminuer l'impact des industries sur l'environnement est bien dans la volonté de chaque industriel responsable : la solution est-elle d'aboutir à une activité industrielle nulle et donc à une pollution nulle ?
Le péril en Basse-Seine n'est pas celui que l'on croit. Le vrai péril, c'est de rayer purement et simplement notre région de la carte des sites industriels et donc sa richesse et ses emplois.
Lorsque l'on effectue le total de toutes ces actions pour l'environnement menées par les industriels et les collectivités locales, on obtient la somme impressionnante de trois milliards de francs. Pourtant, les industriels locaux totalisent soixante-quinze pour cent des sommes investies, alors qu'ils ne sont responsables que de vingt-cinq pour cent de la pollution du fleuve. Si nous exigions des l'Ile de France qu'elle indemnise la Normandie pour les pollutions que nous subissons, une simple règle de trois nous autoriserait à réclamer la coquette somme de neuf milliards !
... C’est ce qu'ont décidé le Conseil régional et les Conseils généraux d'Ile de France avec l'Agence de Bassin Seine Normandie en décidant la mise en place d'un plan de dix milliards !

Mais l'Agence Seine Normandie ... ne sont-ce pas aussi les Normands qui devront mettre encore la main à la poche pour régler un cinquième de la note de leurs fortunés voisins ?
Jean HALOT

Droit de cuissage automobile

Les sociétés d'Autoroute sont-elles les seigneurs et maîtres d'une nouvelle féodalité ?
Au milieu des années soixante, l'État français, devant la carence d'infrastructures autoroutières, inaugura une politique ambitieuse destinée à compléter l'embryon ludique, constitué avant la seconde guerre mondiale, et qui menait de la Porte de Saint Cloud à Versailles.
Le fer de lance de cette politique s'est constitué autour de sociétés d'économie mixte chargées de construire, puis d'exploiter pendant vingt ans ces autoroutes financées avec de l'argent public. Trente ans plus tard ... les concessions sont toujours exploitées et il ne reste de cette politique audacieuse qu'un déficit de kilomètres que les Régions et les Conseils généraux tentent de combler, toujours avec de l'argent public, sous la bienveillante attention des sociétés d'autoroutes.
Si Paris semble bien irrigué par le maillage autoroutier, la province reste, une fois de plus, la grande oubliée. En effet, comment maintenir, sinon développer, une économie locale, donc une vie en milieu rural, sans un réseau de communications sûr, rapide qui desserve le plus grand nombre de bassins de production ?
Dans les faits, quatre-vingt pour cent de la population ne représente rien vis à vis des intérêts de l'Ile de France. Le déséquilibre Paris-province s'accentue d'année en année, que ce soit en infrastructures, dans le rapport des kilomètres soumis au péage, le nombre d'accès aux voies rapides, la qualité l'entretien et de la signalisation, les choix de tracé par le jeu de notion d'utilité publique plus facile à imposer dans les zones en cours de désertification, etc.
Nous payons au prix fort un service peu coûteux pour les vingt pour cent d'une population qui paye peu ou pas des kilomètres qui nous sont finalement très chers ; 1993 est le Bicentenaire d'une période qui fut terrible pour l'ensemble des provinces, vu de Paris c'est une aimable fantaisie, mais rappelons-nous que tout avait commencé par des cahiers de doléances où les bons peuples de France rechignaient sur les péages des ponts et chaussées.
Resterait-il des Bastilles à prendre ?
Marc LESALIEN

Indécence, insolence ou imbécillité ?

Entre les épithètes il n'est pas facile de choisir, et l'heure commanderait plus à la concertation et au regroupement de nos énergies qu'à leur dispersion. Mais il y a des idées, des paroles qui confinent à la trahison des intérêts normands. Que la Normandie ne soit qu'un mythe au regard de quelques parachutés de tous poils, peu nous chaut, nous les tenons et les combattons pour ce qu'ils sont : des horzains. Mais que, dans nos propres rang, des normands se mêlent à la curée nous navre et nous révolte !
Qu'à cela ne tienne, nos messieurs préfèrent jouer l'air des querelles intestines entre Caen et Rouen, organiser quelques colloques où tout ce qui avait déjà été dit l'est à nouveau, de sorte que, la réunionite devenant plus importante que le but assigné, ils se trouvent au moment du Plan sans avoir rien avancé de leurs doctes travaux.
Alors reviennent les vieilles lunes, celles qui dispersent les efforts que les deux demi régions font pour se retrouver, pas trop vite, mais l'idée fait son chemin. Les exclus des prébendes n'ayant plus de moyens de manifester leur puissance, refont leur apparition. L'Observatoire de Prospective, puisque c'est de lui qu'il s'agit, ayant vu partir en fumée son désir de réaliser l'unité de la haute Normandie et de la Picardie, a voulu relancer le débat au mois de mai 1993, en l'Hôtel des Sociétés Savantes de Rouen, avec un dénommé Germond, qui présentait son chef d'œuvre de géographe autorisé, puisqu'il enseigne à la faculté de Rouen. Les thèses de ce monsieur sont simples, sinon simplistes, et il est navrant que de telles élucubrations aient pu susciter tant d'émoi. Selon ce personnage, la « haute »-Normandie se trouve devant deux horizons (sic), le premier est Paris, le second c'est au lecteur de le trouver ... (de qui se moque-t-on ?) Car, Paris est une chance pour la Normandie plus que pour les autres régions, à condition que, comme au judo, les normands jouent sur leur agilité pour entraîner leur puissant voisin, (ben voyons, au lieu de laisser tomber Paris, nous tomberions avec !)

Pour les attardés, précisons que la Normandie n'est pas dans l'Arc Atlantique parce qu'elle n'a pas de plan routier, ni de zones franches, tout au plus devons-nous déplorer que l'on exploite sans vergogne ses gravières et qu'on y importe des petits vieux. Émaillant son exposé de propos dénotant un mépris certain : « le Limousin et la Corse sont au-dessous de zéro, la « haute »-Normandie égale la Corse et le Limousin pour les décentralisations ! » voire une insolente ignorance pour un si grand géographe qui compare la faiblesse des moyens de la « haute »-Normandie à « la force d'une région comme la Rhénanie ou la Belgique ». Ce ne fut qu'un vibrant plaidoyer pour que nous acceptions le principe d'une Normandie parisienne, plutôt que de devenir parisiens petit à petit.
Ces propos furent repris un illustrissime caennais, François Geindre, qui ne se trouve être « que » maire d'Hérouville-Saint-Clair, qui est si près de Caen dont il voudrait être le chef de file au SIVOM, pour faire pendant à son ami Laurent de Rouen ? Aussitôt, par l'aubaine alléché, notre troisième couteau se rue dans les colonnes de Ouest-France, où les dirigeants rennais sont trop heureux de trouver une cloche qui donne un son flatteur pour les oreilles des managers d'un Arc Atlantique enfin débarrassés de Rouen. Car, pour Geindre comme pour ces messieurs, Rouen est, horror referens, la cité des perditions d'emparisianisés dont il faut se défaire avant que la Normandie, en recouvrant ses esprits, ne prenne une trop belle place dans cet Arc Atlantique qui veut bien du littoral normand pour mieux défendre sa cause, mais ne l'irriguera des subventions reçues qu'à la manière d'un certain comité pour le développement du tourisme dans l'ouest qui ignora superbement ... le département de la Manche venu faire cavalier seul en si avenante compagnie.
François DELAUNAY

Du vandalisme en général,

Récemment, le Maire d'Évreux, M. Roland Plaisance, a pris des mesures finalement courageuses pour lutter contre l'insécurité dans sa Z.E.P. (1) locale. Il s'agit de supprimer les aides de la mairie aux familles qui comptent parmi leurs membres des jeunes, bien connus des services municipaux, qui détruisent systématiquement les locaux mis à leur disposition. Aussitôt l'initiative défraye la chronique, et l'on accuse ce brave maire de réprimer injustement quelques vandales incontrôlés.
Là, je crie halte ! Nos forts doctes plumitifs, quand ils désignent ces individus forts peu respectueux de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, se méprennent du tout au tout sur un détail : les Vandales ne sont pas des vandales.
Explication : le terme de « vandalisme » a été utilisé pour la première fois en 1794, par l'évêque Grégoire de Blois pour qualifier les exactions du peuple français pendant la révolution. L'expression nous en est restée, bien à tort, comme nous l’allons démontrer.
et des vandales en particulier ...
Les Vandales sont originaires de Vendyssel, Jutland, et sont composés de deux tribus : Asdings et Silings. Au tout début du cinquième siècle, nous les trouvons sur les bords du Rhin, avec d'autres peuples germaniques, face à l'Empire romain en pleine décomposition. En 406, le fleuve gèle. Vandales, Suèves, Alains, Burgondes, Alamans, Francs bousculent les courageuses mais impuissantes légions romaines et envahissent l'Europe occidentale. Nos Vandales traversent rapidement la Gaule et parviennent en Espagne où ils donneront leur nom à l'actuelle région de l'Andalousie (2). Après des heurts violents avec les Visigoths, ils sont quatre-vingt mille à s'embarquer en mai 429 à Tarifa, pour conquérir tous les territoires de l'antique Carthage, aidés en cela par leur talent naturel de navigateurs – ils viennent du Jutland, ne l'oublions pas. Leur territoire, outre l'Algérie, la Byzacène et la Tunisie, comprend bientôt la Sicile, la Sardaigne, la Corse et les Baléares.
Inévitablement, et pour les mêmes motifs de suprématie maritime à l'origine des guerres puniques, les Vandales entrent en guerre contre Rome.
L'issue de cette guerre fut la prise de Rome en 455, dont on ne prend même pas la peine de parler dans le dictionnaire (3), soucieux d'entacher la réputation de ce peuple dont Salvien de Massalie, contemporain des faits, dira: « … les Goths et les Vandales ont un tel code moral qu'ils ne mènent pas seulement une vie chaste, mais qu'ils ont également réussi l'exploit de rehausser les normes éthiques des romains. Ayez honte, romains, de la vie que vous menez ! Car seules les villes où sont installés les barbares sont libres d'adultère. Là où règnent les Vandales, l'adultère est même interdit pour les romains ».
Constat amer pour un homme qui voit son peuple vaincu sombrer dans la décadence.
Quand aux « barbares », tout comme les Visigoths le 24 août 410, ils ne resteront dans Rome que quelques jours. Les Goths avaient brûlé quelques quartiers, pillé et emmené des centaines d'hommes et de femmes. Les Vandales se contenteront de prélever le trop plein de richesses des nobles, et d'emmener eux aussi une colonne d'esclaves. Dans ces deux cas, ni viols (4), ni massacres ! En 432 déjà, les Vandales, après le siège d'Hippone, respectèrent la bibliothèque et le tombeau de Saint Augustin, mort le 28 août 430.
On certifie pourtant, que ces ignobles barbares, chrétiens ariens, sont les inventeurs des camps de concentration : en 483, ils déportèrent 466 évêques catholiques dans le sud de la Tunisie. Charlemagne, en déportant et massacrant des millions de saxons païens, fera bien mieux, tout comme les « vandales » d'Évreux.
Le royaume Vandale, finalement, fut balayé en 533 par une coalition de Berbères nomades alliés à l'Empire romain d'Orient de Byzance. Il n'en reste aujourd'hui que quelques villages isolés en Kabylie, où l'on retrouve des populations germaniques musulmanes.

En tout état de cause, à Évreux comme ailleurs, n'est pas Vandale qui veut !
W. LAMBERT
(1) Zone d'Education Prioritaire, terme fort prude, ma foi.
(2) Vandalusia, anciennement province carthaginoise.
(3) Petit Robert des noms propres 1991
(4) Pratique inconnue chez les germains avant la christianisation.

mardi

Runes - Hors-série 1/1993 Irlande

POBLACHT NA EIREANN



Le gouvernement provisoire de la République d'Irlande au peuple d'Irlande.

Irlandais et Irlandaises, Au Nom de Dieu et des générations passées de qui elle reçoit sa vieille tradition de Nation, l'Irlande, à travers nous, appelle ses enfants à lutter sous sa bannière pour sa liberté.

Après avoir organisé et entraidé ses militants dans notre organisation secrète, la Fraternité des Républicains Irlandais, et dans l'Armée des Citoyens Irlandais, après avoir opiniâtrement perfectionné sa discipline et avoir attendu avec résolution le meilleur moment de nous révéler dans l'action, nous saisissons maintenant l'opportunité et, avec le soutien de nos exilés en Amérique et le soutien moral de nos alliés européens, bien que ne comptant d'abord que sur notre seule force, nous combattons avec toute notre Foi en la Victoire.

Nous déclarons le Droit du Peuple d'Irlande à l'auto-détermination et au contrôle sans entraves des destinées de l'Irlande souveraine et inaliénable. La longue usurpation de ce droit par un peuple étranger et son gouvernement n'a pu abolir ce droit qui ne le sera que par la destruction du peuple irlandais. À chaque génération le peuple irlandais a affirmé son droit à une liberté nationale souveraine ; à six reprises durant les trois derniers siècles il l'a affirmé avec les armes. À cet instant, armes à la main, nous affirmons de nouveau ce droit fondamental au monde, nous proclamons pour cette raison que la République irlandaise est un état Souverain Indépendant et nous engageons nos vies et celles de nos frères d'armes dans la défense de sa liberté, de sa prospérité et pour sa reconnaissance par les autres nations.

La République d'Irlande appelle, pour ces raisons fondamentales, le soutien de tous les Irlandais et Irlandaises. La République garanti les libertés civiles et religieuses, l'égalité des droits et des devoirs de tous ses citoyens et affirme sa volonté de réaliser le bonheur et la prospérité de la Nation toute entière, de prendre soin équitablement de tous les enfants de la Nation, et d'ignorer les différences encouragées volontairement par un gouvernement étranger qui a créé les divisions par le passé entre minorité er majorité.

Seules nos armes sauront apporter les conditions idéales pour l'instauration d'un gouvernement national permanent représentatif de l'ensemble du peuple irlandais, et élu par le suffrage de tous les hommes et les femmes. Le gouvernement provisoire constitué dans ce but administrera les affaires civiles et militaires dans l'intérêt du peuple.

Nous plaçons la cause de la République d'Irlande sous la protection du Père Très Haut, nous le prions de bénir nos armes, comme nous prions qu'aucun de ceux qui servent notre cause ne la déshonore par sa lâcheté, son inhumanité ou ses pillages.

En cette heure suprême la Nation Irlandaise doit par sa valeur et sa discipline, par l'empressement de ses enfants à se sacrifier eux-mêmes pour le bien commun, prouver elle-même l'honorabilité de l'auguste destin auquel elle est appelée.

Signé Sur la Foi du gouvernement provisoire
THOMAS J. CLARKE
SEAN Mac DIARMADA - THOMAS Mac DONAGH
S.H. PEARSE - EAMON CLEANNT
JAMES CONNOLLLY - JOSEPH PLUNKETT

" Je suis d'Irlande
'' Sainte Terre d'Irlande.
'' Et le temps presse."

W. B. YEATS

Des Celtes en général aux Irlandais en particulier

Il y a trois mille six cents ans, se forme en Allemagne du Sud un peuplement protoceltique dont le rameau « goïdélique » commence à envahir la Grande-Bretagne. Les origines de ces Celtes demeurent obscures. Deux faits permettent de fixer le berceau de cette civilisation en Europe centrale et occidentale : l’existence de la Loraine jusqu’en Bohème de très anciens toponymes d’origine celtique pour désigner les montagnes et les rivières, la continuité manifeste dans les rites funéraires, les divers aspects de la civilisation matérielle et dans les types anthropologiques dont les composantes essentielles sont les races nordiques, alpine et dinarique.
Les recherches linguistiques nous apprennent que le groupe goïdélique, auquel se rattachent les Irlandais, présente des archaïsmes prononcés qui font supposer que c’est aux origines du peuplement protoceltique que les Goïdels ont été séparés des Celtes continentaux.
On sait peu de choses de l’Irlande protohistorique, sinon qu’une civilisation à la tradition artisanale réputée jusqu’en l’actuel Danemark fournit les bases de l’essor de l’art irlandais voici deux mille six cents ans, avant que les Goïdels importent la civilisation de la Tène, assurant leur domination grâce à la maîtrise du fer. L’histoire de cette implantation est mal connue, mais on sait quelle fut l’organisation sociale et politique mise en place, puisqu’elle subsista tant que l’Irlande resta à l’écart des grands mouvements de l’histoire. Cette société très divisée, politiquement, en petits États d’environ trois mille hommes armés, et fortement hiérarchisée entre ses rois, ses druides, ses bardes, ses hommes – libres ou non – et ses esclaves, permettait de s’élever selon ses mérites, suivant le principe « Is ferr fer a chinind » (un homme vaut mieux que se naissance), admettait qu’un homme puisse être fidèle à son roi autant qu’à son clan.
De tuath (royaume) à tuath, de clan à clan, ce n’étaient que guerres et coups de main dont l’enjeu principal était le bétail, de là les innombrables récits que l’on retrouve dans la littérature irlandaise ancienne. Les tuath se regroupant, au début de l’ère chrétienne l’Irlande était divisée en cinq royaumes principaux, l’Ulster, le Nord et le South Leinster, le Munster et le Connaught ; division qui prévalu pendant tout le moyen-âge et dont les rivalités ne sont connues que d’après les sources littéraires le plus souvent légendaires. Au troisième siècle, le tuath de Connaught occupa le North Leinster puis l’Ulster, sous l’autorité de Niall des-neuf-otages, du clan O’Neill, qui instaura le principe de roi supérieur de l’Île qui valu jusqu’en 1002.
Dès le milieu du troisième siècle, les Irlandais (Scotti) se livrèrent à de nombreuses pirateries sur les côtes britanniques et étendirent leur domination sur le Pays de Galles et l’ouest de l’Écosse. Au neuvième siècle leurs descendants devinrent rois d’Écosse.
Ces raids irlandais sortirent l’Irlande d’un isolement de près de dix siècles en la mettant au contact avec la civilisation de Rome, ce qui entraîna sa christianisation et un extraordinaire essor de la vie monastique.
Jusqu’aux invasions Normandes, au début du neuvième siècle, le développement du christianisme, qui se mêla à de vieilles traditions celtiques, constitua l’essentiel de l’histoire du pays. Mais l’adoption du christianisme ne s’étant pas accompagnée de l’adoption de l’organisation politique latine, l’Irlande resta pendant cette période le théâtre de luttes intestines.
Les Angles et les Saxons avaient épargné l’Irlande, les vikings ne l’épargnèrent pas.
En 795 ils fondirent sur la colonie monastique d’Iona, célèbre dans tout le monde occidental. Ils y revinrent en 801 ; en 806, après une troisième attaque, l’abbé Cellach quitta l’île avec les survivants pour Downpatrick et Kells. Les vikings avaient sur les Irlandais la supériorité de l’armement, ne énergie farouche, la connaissance des mers. Encouragés par l’absence de réaction de leurs victimes, et par la richesse du butin, ils multiplièrent leurs attaques sur toutes les côtes. En 830, Torgeist saccagea Armagh, en 837 il amena soixante-cinq navires dans la baie de l’eau noire : Dubh Linn.
À partir de 841, les vikings commencèrent à construire des forts près de la Dublin, à l’embouchure de la Liffey ; Waterford, à l’embouchure de la Suir ; Cork, près de l’embouchure de la Lee ; Limerick, près de l’embouchure du Shannon. Avec ces nouveaux hommes, une nouvelle langue et un nouveau mode de civilisation s’installait en Irlande. Malgré le danger, non seulement les Gaëls ne s’unirent pas contre l’envahisseur mais certains d’entre eux s’allièrent à lui par des mariages.
En 976, le royaume de Munster tombe entre les mains d’un Gaël ambitieux et énergique : Brian Boru. En 1002, il usurpa sur les O’Neill la dignité de roi suprême ; en 1014, il vainquit à Clontarf, sur la rive nord de la baie de Dublin, une coalition de vikings et d’Irlandais du Leinster. Cette victoire, acquise au prix de sa vie, devait devenir, pour les Irlandais, symbole d’unité nationale et d’indépendance. La réalité était beaucoup plus complexe. L’Irlande gaëlique n’avait pas été unanime derrière Brian Boru. Les vikings installés en Irlande restèrent : l’armée victorieuse ne put prendre Dublin ; les autres villes, indépendantes ou soumises, Wicklow – dont le nom signifie baie des vikings – Wexford, Waterford, Cork, Limerick, restèrent profondément scandinaves d’esprit.
L’Irlande offrit au Normands un nouveau champ d’expansion ; il semble pourtant qu’ils ne vinrent qu’à l’appel d’un roi Irlandais : Dermot Mac Murrough, décédé en 1171. Dans les années qui suivirent, les Normands assurèrent leur domination sur la presque totalité de l’île. Dans la seconde moitié du treizième siècle, on assista à un phénomène connu dans les autres territoires administrés par les Normands, leur assimilation aux coutumes du pays qui les avait conquis.
Francois Delaunay

Histoire sommaire et partisane du peuple Irlandais

L’évolution des peuples d’Irlande constitue une page d’histoire originale, fascinante et dramatique.
On ne saurait définir autrement les évènements essentiels qui ont caractérisé la destinée de cette île éloignée des centres historiques de l’Europe. Originale et fascinante par la jonction qu’elle a su opérer entre le monde celtique et le monde latin et chrétien. Dramatique par les bouleversements, les souffrances et les difficultés qu’elle a dû supporter et supporte encore aujourd’hui en raison d’une pratique pluriséculaire conquérante, et impérialiste, d’un espace plus puissant.
Commencé au douzième siècle, la conquête de l’Irlande par l’Angleterre est achevée au dix-septième siècle pour être définitivement légalisée en 1800 avec l’Acte d’Union. Ce furent, jusqu’à l’obtention du Home Rule en 1921, sept siècles de malheur.
En 1367, les Statuts de Kilkenny interdisent de parler le gaélique, les mariages mixtes, le port du costume irlandais, l’entretien des bardes, la pratique du forestage (genre d’adoption du droit gaélique). Cette mesure est suivie par la Poyning’s Law (années 1640) qui établit que les textes adoptés par le Parlement Irlandais doivent être soumis à l’approbation de Londres. Ces deux mesures ne sont cependant que des actes paisibles par rapport à ce qui suit au moment où l’Angleterre devient protestante. L’Île catholique va subir une véritable persécution religieuse. Les rois Anglais ne peuvent admettre l’existence, dans les territoires sous leur contrôle, d’une « forteresse du papisme ». En 1536, Henri VII étend à l’Irlande l’Acte de Suprématie et prend pour la première fois le titre de roi d’Irlande.
En 1695, le lord chancelier Bowes dira : « La loi Anglaise ne reconnaît pas l’existence d’une personne telle qu’un catholique romain ». Par les Lois Pénales, l’Irlandais ne peut être ni électeur, ni éligible ; il ne peut rentrer ni dans l’armée ni dans la marine, ni dans aucune profession libérale. Ses acquisitions, son droit de tester, sont strictement limités, le droit à l’instruction lui est refusé. La situation du clergé tourne autour de l’interdiction pure et simple.
Dès le début, l’oppression religieuse se double d’une exploitation sociale et économique. Commencée avant le passage de l’Angleterre à la Réforme, la confiscation des terres irlandaises et leur attribution à des colons Anglais prennent une signification de réelle colonisation et de lutte à la fois économique, sociale et religieuse, précisément dans l’Ulster qui de région la plus gaélique et catholique de l’Irlande, devient une des places fortes des colons Anglais protestants.
Las des violences quotidiennes, les Irlandais se révoltent en octobre 1641. Ceux qui, trente ans plus tôt, ont été chassés de leurs terres, massacrent sans pitié les gens qu’on avait mis à leur place. La riposte est effroyable. La lutte continue jusqu’au moment où Cromwell débarque avec ses soldats en Irlande pour mater la rébellion. D’après certains historiens les cinq-sixièmes de la population ont péri. Ni les femmes, ni les enfants ne furent épargnés et plusieurs villes furent entièrement détruites.
Après les Cromwellian Settlement (confiscation des trois-quarts des terres irlandaises au bénéfice des soldats de Cromwell), ce sont les Actes du début du dix-huitième siècle qui interdisent à l’Irlande d’exporter les laines ailleurs que dans la métropole, d’avoir sa propre marine marchand, et c. Les propriétaires du sol, vivant généralement en Angleterre, obligent les fermiers à s’acquitter de leur fermage en blé, ce qui contraint l’immense majorité de la population à utiliser la pomme de terre comme aliment presque unique.
Aussi, lorsque la maladie de la pomme de terre fait ravage en 1739-1740, les Irlandais sont fauchés par la famine. Bilan : entre 200 000 et 400 000 morts. Cela fut la première famine. Une siècle plus tard, le bilan de la « Grande famine » est plus lourd encore : en quatre ans, plus de 700 000 personnes sont mortes de faim et plus de 800 000 ont quitté l’Irlande sur les trop fameux « cercueils flottants ». D’après le recensement de 1851, la population avait décru de deux millions ! Depuis lors l’émigration ne fait que continuer. Enfin, au plan linguistique, composante indispensable de tout processus de colonisation, l’anglicisation de l’île a été « exécutée » de façon profonde. En 1870, vingt pour cent seulement de la population, concentrés surtout dans la partie occidentale du pays, parlent encore le gaélique. Les efforts accomplis à partir de 1922 par les gouvernements irlandais successifs en faveur des traditions et de la culture originaires gaéliques, témoignent que l’Irlande n’a pas perdu tout espoir de maintenir vivant un patrimoine culturel de l’Europe, au moment où tout conduit à l’uniformisation de nos sociétés.
Nous avons fait mention d’une série de faits desquels découle la guerre civile en Irlande du Nord. Certains n’y voient que la prolongation des vieilles guerres de religion. D’autres n’y voient qu’un épisode de la lutte des classes commencée dès l’attribution aux colons Anglais des terres confisquées. D’autres enfin, n’y voient que la poursuite de la guerre de libération nationale contre l’impérialisme britannique.
La guerre en Irlande est tout cela à la fois.
Le maintien au sein de la Communauté européenne d’une île de quatre millions cinq-cents mille habitants, artificiellement coupée en deux États et ravagée par une guerre civile sanglante, ne devrait pas laisser indifférents les continentaux.


D’après Ricardo Petrella
« La renaissance des cultures régionales en Europe »
Éd. Entente, 1978

Avec toute la sympathie que nous éprouvons à l’égard de Ricardo Petrella, nous reprenons ce texte pour ce qu’il permet de rapprochement entre les catholiques Irlandais et les Réformés Normands qui eurent, eux, le bonheur de vivre au siècle de la Révocation d’un Édit jugé trop tolérant. La Normandie a perdu de la sorte une importante part de sa population, de son savoir faire et de ses traditions ; pis, au schisme religieux s’est substitué un schisme géographique entre les Îles et la Duché continentale.

Les rêveurs du rêve irlandais

L’Irlande exerce sur certains esprits une étrange et persistante fascination, hors de proportion avec l’étendue de son territoire, le chiffre de sa population, les avanies et les méandres de son quotidien. Le rêve irlandais que nous entendons inventorier n’est pas le miroir trompeur au fond duquel certains traquent désespérément le reflet déformé de leur ego malade. C’est le rêve comme signe distinctif de l’Irlande, attestant l’être le plus intime d’une Nation qui s’est toujours exprimée sur le mode lyrique plus que sur le mode théorique.
Au vrai, le nationalisme irlandais n’a jamais été capable de formuler théoriquement ses positions. Le rêve irlandais ne procède point d’une analyse doctrinale mais d’un attachement charnel et d’une illumination mystique qu’il est plus facile d’atteindre par les voies de la théologie négative que par les routes tracées au cordeau de la philosophie positive.
Le nationalisme ne constitue pas, en soi, un pêché contre l’esprit : « il est impossible de considérer le monde moderne tel qu’il est sans reconnaître la force écrasante du patriotisme, de la fidélité à la Nation. En certaines circonstances, il peut s’effondrer, à certains stades de civilisation il peut ne pas exister, mais en tant que force positive, il n’y a rien qui puisse rivaliser avec lui » (Orwell). Il n’y a pas lieu de s’en affliger, chaque nation est dépositaire unique d’une parcelle de la richesse du monde. Le cosmopolitisme n’est rien d’autre qu’une forme aigüe de cécité idéologique. Il serait bien entendu osé de prétendre que le nationalisme est à l’abri des infections purulentes et des dérives criminelles. Mais quelle idée de vouloir éliminer la maladie en tuant le malade ! Les peuples sans conscience sont comme les patients de la comédie : le médecin annonce triomphalement à la famille qu’il est mort guéri.
L’attachement simultané au tuath et au clan imprègne le mental de l’Irlandais autant que son quotidien dans un environnement complexe et multiforme. Ces musiques de l’âme, double lien, moral et charnel, font que la question reste toute entière et permanente : « Qu’est-ce qui fait l’Irlandais ? » La longue mémoire ou le climat, le caractère des individus ou leur histoire légendaire ou tradition orale de hauts faits héroïques récents, tout contribue, par l’imaginaire et le vécu, à prolonger le rêve entre mélancolie et violence.
Par le sang versé… Cette épitaphe sied bien à l’Irlande dont le nom est comme synonyme de violence, à croire que son histoire ne fut qu’une longue suite d’affrontements inexpiables. Comme si elle n’avait pas connu, elle aussi, de longues plages de paix à l’écart du bruit et des fureurs des époques troublées… Mais s’il est excessif d’en faire la terre d’élection du désordre et de la peur, force est d’admettre qu’elle enfanta la violence dans toutes ses formes : affrontements dynastiques, guerres de religion, jacqueries, insurrections populaires, guerre de libération nationale, campagnes d’attentats terroristes enfin. Cette typologie, qui est loin d’être limitative, ne saurait pas davantage être prise au pied de la lettre.

Au dix-neuvième siècle, l’agitation agraire verse parfois dans le terrorisme sans qu’il soit toujours aisé d’en faire la par exacte de la vengeance et de l’intimidation terroriste. Car la religion et la terreur n’interviennent pas comme facteurs dominants dans une situation nettement caractérisée par son aspect social. Il faut attendre les Pâques sanglantes de Dublin pour voir l’I.R.A. faire une entrée remarquée sur la scène que dorénavant elle occupera pratiquement sans interruption. Combattant à un contre vingt, les insurgées s’accrochent à chaque pâté de maisons, à chaque coin de rue. L’I.R.A. de 1916 n'a rien d’une organisation terroriste ; ses hommes observent scrupuleusement les lois de la guerre et portent l’uniforme. Lors de la reddition, Pearse remet son épée au général Lowe. C’est plus qu’un symbole ; l’affirmation solennelle d’un statut de belligérant à quoi l’on prétend avoir droit au terme d’un loyal et franc combat. Au vrai, les chefs rebelles ne se faisaient aucune illusion. À moins que la province bougeât, ils savaient pertinemment que leur aventure était vouée à l’échec. À plus long terme, ils escomptaient ranimer la flamme vacillante de la liberté qui n’avait que trop tendance à s’éteindre depuis le début des hostilités. Loin de vouloir répandre la terreur, ils n’avaient qu’une ambition : prêcher l’exemple, émouvoir amis et ennemis, se sacrifier pour permettre à la population civile d’encaisser les dividendes de cette héroïque folie.
Pearse et ses compagnons avaient vu juste. Les Irlandais qui avaient boudé l’insurrection s’émeuvent et condamnent la répression qui s’abat sur le pays. Les chefs rebelles, condamnés à mort et exécutés, deviennent les martyrs d’une cause qui fait tâche d’huile.
Chez ces hommes engagés dans une lutte inexpiable, peu ou pas d’esprit de système, mais une ferveur quasi mystique. « Leur croyance est un acte, intuitif et direct, de volonté, d’imagination et d’amour ; elle est une de ces formules mentales qu’ils produisent tout naturellement, plus proche du sentiment que de l’idée, de la poésie que de la logique, et où la pensée, d’autant plus puissante qu’elle est plus confuse, émeut aisément les forces inconscientes de l’âme ; au fond, c’est un état religieux… ces gens-là sont des millénaires qui attendent une aurore avec la certitude de la Foi, aussi sûrs du triomphe que du jour qui se lèvera demain. C’est ce qui leur donne cette intransigeance dans leurs revendications. C’est ce qui leur donne cette obstination inaccessible au désespoir. Mais ce mysticisme de la justice, c’est aussi ce qui donne à leur pensée une couleur si proprement irlandaise. » (Roger Chauvire)

Le rêve irlandais, il est là, palpable et cependant lointain : « Ces sacrifiés sublimes entendent en eux-mêmes des voix et, bien souvent, quand ils nous parlent, leur rêve les emporte très loin, très loin de nous, en des régions où nous serions bien incapables de les suivre. »
On dira que le trait est un peu épais, l’idéalisme par trop candide. Si l’on passe de la fiction à la réalité, on s’aperçoit que Ludovic Naudeau restituait fidèlement un certain type d’homme auquel se rattache indéniablement Terrence Mac Swiney, le Lord-maire de Cork, un texte essentiel du nationalisme irlandais qui témoigne d’une grande élévation de sentiment et d’une conception quasi mystique du combat libérateur : « Nous guiderons l’Europe comme nous l’avons guidée jadis. Nous tirerons le monde de ce rêve pervers de convoitise matérielle, de puissance tyrannique, de politiques corrompues et brutales, nous le ferons s’émerveiller au prodige de l’esprit régénéré, au miracle d’un rêve neuf et magnifique ; et nous enracinerons notre état dans une vraie liberté qui durera à jamais. »
Éditions Artus, 1988
D’après Pierre Joannon