On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



jeudi

Hors-série N°2 LE HAVRE

Ville neuve, ville moderne, LE HAVRE est réputée être la ville la moins normande de la province. N'en déplaise a ceux qui ne jurent que par Rouen ou Caen, nous la jugeons totalement normande cette ville ouverte sur le monde dont la population s'est toujours montrée opiniâtre et prête à relever les défis du temps.
Limiter l'image du Hâvre à celle d'une ville sans âme, brisée par les combats de la Libération, c'est céder un peu trop facilement devant les fantasmes des « touristes » qui voudraient que la Normandie ne soit qu'une plaisante carte postale.
Le Hâvre, comme beaucoup de villes, est un espace où sont réunis des hommes qui ont une vie culturelle qui se manifeste au travers d'associations, d'institutions qui font le passé, fondent le présent et l'avenir d'une cité riche de talents.
Le Hâvre c'est un port, c'est aussi une université. Le développement d'un espace cohérent à partir d'un patrimoine, d'un savoir faire, n'est pas une idée neuve au Havre. Depuis toujours le génie de l'homme s'est manifesté dans ce finistère où il s'est forgé une mémoire collective. Car Le Hâvre n'est pas une ville sans mémoire : son passé, on le retrouve dans les rues, on le rencontre aussi chez les hâvrais qui, mieux que quiconque, savent raconter leur ville. Pour remonter plus avant dans le temps, ce sont les centres culturels, scientifiques et techniques, maritimes et portuaires, les musées du « Prieuré de Graville », de « L'Ancien Hâvre » ou le « Muséum d'Histoire Naturelle », qui abrite la vénérable « Société Géologique de Normandie ». Cette dernière diffuse ses publications dans vingt sept pays et cent cinquante laboratoires, bibliothèques ou instituts.
Mais Le Hâvre ne vit pas que sur son seul passé, l'activité culturelle se manifeste à l'École Nationale de Musique et de Danse, des Beaux Arts, ou au Musée des Beaux Arts André Malraux. Ce musée possède diverses belles pièces anciennes, mais surtout de riches collections permettant de suivre l'évolution de l'art, des précurseurs de l'impressionnisme à nos jours et Raoul Dufy.
Pourtant, tournés vers la mer, assis sur l'estuaire de la Seine, première « autoroute de Normandie », les hâvrais chaque jour font flotter haut les couleurs de la Normandie. Hier, Tancarville, demain le Pont de Normandie.
Le Hâvre Porte Océane, comme le disait Édouard Herriot, ou le Hâvre porte de l'avenir normand ? Peut-être les deux à la fois.
François DELAUNAY

La Seine-Maritime a puisé sa prospérité dans la terre,
elle a bâti sa puissance industrielle avec l'eau, la mer et la Seine.
L'avenir de la Seine-Maritime passe par l'avenir de ses ports.
Jean Lecanuet

Grandes figures hâvraises : Maurice Begouën Demeaux.

 Descendant d'une famille hâvraise qui, s'étant illustrée au XVIIIème siècle dans le négoce et l'armement maritime, devait sous l'Empire et la Restauration siéger dans les hautes instances de l'État. Maurice Begouën Demeaux, exploitant ses très riches archives familiales, publiait de 1949 à 1954 le résultat de ses recherches sous le titre général de « Mémorial d'une famille du Hâvre ».
Cette histoire d'abord publiée à l'intention des proches de l'auteur valut à celui-ci une grande audience.
Cette histoire d'une famille s'avère en effet représentative de la vie de tout un milieu : celui du grand commerce maritime à une époque passionnante à ce titre. Son intérêt déborde d'ailleurs largement le seul port du Hâvre tant étaient étendues les relations des maisons Begouën Demeaux et Foäche dans les milieux maritimes, en Europe et Outre-Mer.
Affaires maritimes et commerciales, relations avec les colonies et l'étranger, les « Papiers Begouën » rassemblent encore un important volume de documents portant sur les périodes de la Révolution, de l'Empire et de la Restauration. Jacques-François Begouën, grand négociant du Hâvre, passionné des problèmes de son port, fut élu aux États Généraux de 1789 député du Baillage de Caux. Incarcéré comme suspect en 1793, libéré un an plus tard, il tenta une reprise des affaires avec les Amériques dans le contexte difficile des dernières années du siècle, puis fut remarqué par le Premier Consul qui l'appela au Conseil d'État. Entre autres charges, il présida à la rédaction d'une partie importante de Code du Commerce.
Député de la Seine-Inférieure à la Chambre de 1816, il y rapporta plusieurs projets de Lois importants. II fit enfin partie de la commission chargée, en 1825, de poser les bases de l'indemnisation des anciens colons de Saint Domingue.
Au cours de cette longue carrière, tant commerciale que politique, il s'était fait de nombreux amis parmi lesquels en tout premier lieu Malouet, également ami de Stanislas Foäche, Corvette, Portal, Regnault de Saint-Jean d’ Angely.
Serge Couasnon





Grandes figures hâvraises : Marcel Hérubel

Qu'est -ce que l'économie maritime ?
Fondateur de cette discipline le professeur Marcel Hérubel répondait ainsi à la question dans la revue de la Porte Océane (oct. 1945).

« L'économie maritime est l'étude systématique de l'activité humaine le long des côtes et des rives dans l'espace et dans le temps : réaction de la nature sur l'homme et réaction de l'homme sur la nature. De cette activité, les ports, grands et petits, sont les organes par excellence. D'où l'intérêt primordial qui s'attache à toutes les recherches touchant leurs genèses, leurs formations, leurs développements, leurs peuplements, l'évolution de leurs fonctions et de leurs formes, leurs conditions topographiques et nautiques, leurs liaisons avec les routes de mer et de terre, leurs adaptations aux navires et l'adaptation de ceux-ci aux routes et aux marchandises de mer.
Avant tout et par dessus tout, l'économie maritime est une explication. Elle met en œuvre les notions utiles fournies par la biologie, la géologie, l'hydrographie, la géographie physique, la préhistoire, l'histoire, les diverses techniques anciennes et modernes, etc. Ainsi, bien armée, elle dissèque profondément les éléments du travail humain et les range selon une hiérarchie expérimentale. Par la synthèse, elle les replace dans leurs cadres propres et dans celui de l'économie générale. »

La Normandie et Le Hâvre tiennent une place importante dans l'œuvre de Marcel Hérubel. II est ainsi l'auteur de « Origine des ports de la Seine-Maritime », du chapitre de géographie humaine de la Normandie d'un ouvrage assez courant intitulé « Visages de la Normandie », d'innombrables articles publiés dans des revues savantes ou professionnelles ou dans le Bulletin des Normands de Paris, association dont il fut le président.
Cet humaniste définissait ainsi ses liens avec la Normandie : « Je l'aime et ne m'en cache pas. J'y suis profondément attaché par une hérédité hâvraise de plus de trois siècles ; je veux la servir et y dormir de mon dernier sommeil. »
Ses compatriotes hâvrais et normands ne l'ont pas oublié...
Serge Couasnon

Le Hâvre dans la littérature

Que des écrivains comme Casimir Delavigne, Félix Santailier, François Berge, Jean-Louis Libert ou Jacques Visquenel aient aimé Le Hâvre, quoi de plus normal ! Pourtant d'autres comme Edmond Spalikowski ou Édouard Herriot qui n'avaient point d'attaches hâvraises lui ont consacré des pages laudatives ; pourtant bien des récits de voyageurs tels que Stendhal, Gérard de Nerval ou Jules Renard, entre autres, se révèlent assez flatteurs pour cette ville qui a attiré d'innombrables peintres. De plus n'a-t-elle pas inspiré des poètes aussi dissemblables que Musset, Cendrars et Queneau pour n'en citer que trois ?

N'a-t-elle pas également inspiré des auteurs de chansons depuis Marc Orlan jusqu'à Stéphane Varègue et Yoland Simon ?

De tout cela, l'« homo havraisis » n'a pas tellement conscience. De même il est loin de se douter que nombre de romanciers ont été séduits par sa ville au point d'y situer totalement ou partiellement l'action de l'un et parfois même de plusieurs de leurs livres. La liste de ces auteurs est impressionnante et tout à l'honneur du Hâvre : Jean-Jacques Antier, Chantal Argoeuves, Claude Aveline, Balzac, Roger Bésus, Germaine Beaumont, François Berger, Léon Berthaut, Émile Biette, Roger Bordier, René Brehkt, Jacques Brenner, Frantz-André Burguet de Chamoule, André Chardine, Émile Danoen, Didier Decoin, Lucie Delarue Mardrus, Gaston Demonge, Lucien Descaves, Ghislain de Diesbach, Alexandre Dumas, Georges Duhamel, Annie Emaux, Solange Fasquelle, Gustave Flaubert, Forrester, Henri Frossard, Raoul Gain, André Gide, Julien Guillemard, Philippe Heriat, Jean Jausion, Léon de Kerville, Jules Lambert, Michel Cambesc, Maurice Larroux, Raymond Las Vergnas, Édouard Lavergne, Charles Le Goffic, Fernand Lemoine, A. Lepilleur, Jehan Lepovremoyne, André Leroux, Georges Le Sidaner, Céline Lhotte, Georges Limbour, Pierre Marc Orlan, Sylvain Malouvier, Guy de Maupassant, Guy Mazeline, Henry Miller, Joseph Morlent, G. Morris, Max Olivier-Lacamp, Albert Palle, Yves Pinguilly, Louis Piron, Anne Pollier, François Ponthier, l'abbé Prévost, Jean Prévost, Raymond Queneau, Jean-Paul Sartre, Jean Selleron, Daniel Tougard, Jean Vanier, Robert Vercel, Robert de La Villehervé, Émile Zola et pour le théâtre, René Fauchois, Armand Salacrou et Charles Vidrac.

Trois auteurs ont cru bon de donner un autre nom à la ville ; qu'importe ! Qu'elle soit Bouville, Portville ou Port aux Brumes, c'est tout de même Le Hâvre qu'on n'a nul mal à reconnaître.
Dans les romans des auteurs cités ci-dessus, l'action se situe à des époques variées avec toutefois une prédominance pour l'ancien Hâvre qu'ils décrivent souvent, d'où leur intérêt : c'est un Hâvre à jamais disparu qui revit, ainsi, la place Gambetta, son marché aux fleurs et son grand théâtre, le bassin du commerce tout peuplé de yachts, la place de l'Hôtel de Ville et Guillaume Tel, le boulevard Maritime et le Casino Marie Christine, l'avant-port et son bateau de Trouville, le port et son activité trépidante, Notre Darne, Saint François, et les innombrables bars à matelots ô combien bruyants sont d'incontestables centres d'attrait. Deux rues se partagent la vedette, la rue de Paris pour son animation permanente et la rue du Galion pour son animation d'un tout autre genre.
Si l'on ajoute enfin aux auteurs cités ceux qui sont nés au Hâvre, mais qui n'ont jamais parlé de leur ville, on peut prétendre sans exagération que la Porte Océane mérite bien de figurer dans le bottin littéraire.
Gérard Vogel.

Lumières de l'estuaire

Quelques régions de France ont atteint une grande notoriété pour l'intérêt qu'elles ont suscité auprès des peintres, notamment au XIXème siècle, telles les Écoles de Fontainebleau et de Barbizon avec Corot, Daubigny, Trouillebert, Diaz etc.
Puis, au XIXème siècle et XXème siècle, l'École de Pont Aven qui amena une véritable révolution picturale avec des artistes comme Paul Gauguin, Paul Serusier, Henri Hayden, Émile Bernard, etc.
Puis l'on cite aussi l'École de Rouen avec Albert Lebourg, Joseph Delattre, Robert Pinchon, Maurice Louvrier, Vaumousse, Pierre Dumont, etc.

Mais il est certain que d'autres régions, sans se prémunir du titre « École de ... » ont amené de grands artistes à fréquenter certaines lumières privilégiées, notamment l'Estuaire de la Seine et en particulier Le Hâvre, d'où les impressionnistes surent faire ressentir les transparences d'une lumière toujours renouvelée.

Le grand maître Turner aimait se promener à Honfleur et par des notes rapides, transcrire des impressions fugitives, mais d'une justesse sans égale.
II fût suivi dans cette voie par quantité de grands peintres qui sentirent cette vérité ; d'abord Claude Monet, Eugène Boudin, Gustave Courbet, Camille Pissarro, qui, du Hâvre ou de Sainte-Adresse, nous léguèrent des œuvres inoubliables, conservées par les plus grands musées du monde (Saint-Pétersbourg, New-York, Chicago, Londres, Amsterdam, etc.).

II faut noter que Le Hâvre fût certainement en France, la ville la plus fréquentée par de grands artistes qui, tous, éprouvaient le besoin de venir ou revenir peindre dans ce site privilégié.

Sait- on que Picasso venait à l'hôtel Suisse du Hâvre, que Toulouse- Lautrec a laissé des chefs-d’œuvre peints dans les maisons closes de Saint François (notamment ses filles du « Star »), que d'autres grands artistes comme Albert Marquet et Van Dongen affectionnaient particulièrement Le Hâvre, où ils vinrent fréquemment rejoindre leurs aînés ?

Et puis, et surtout, Le Hâvre ne fût-il pas le berceau de ces grands peintres que furent Georges Braque, Raoul Dufy et Othon Friesz ?
Combien de ces chefs-d’œuvre devons-nous à ces trois maîtres, auxquels vint se joindre Henri de Saint-Delis, qui, sous l'impulsion de Charles Lhuilier, à l'École des Beaux Arts du Hâvre, surent trouver et affirmer une personnalité sans égale.
Notre ville peut et doit être fière de cela et il faut noter depuis et durant de nombreuses années, la venue de bons peintres contemporains « Gaston Sébire, Ceelle, Fernand Decaix et combien d'autres » qui aiment retrouver les impressions de leurs prédécesseurs.
II ne s'agit donc pas d'école du Hâvre, mais d'un lieu privilégié que bien des artistes ont su découvrir et apprécier.

Heureux sont ceux, peintres ou spectateurs, qui ont le privilège de savoir ouvrir les yeux, de contempler, de ressentir toujours les beautés de la nature, que nous avons la chance au Hâvre, de pouvoir admirer.
Jacques Hamon
{Le Hâvre}

Fondation et développement du port du Hâvre

Le Hâvre a été fondé par François Ier en 1517. À cette époque, en effet, le roi de France ne possédait plus, sur les côtes de la basse-Nomandie, un port où sa flotte put trouver un abri. Harfleur, qui de tout temps avait été le port de guerre des Ducs de Normandie, était en effet envahi par les alluvions de la Seine et l'ancien mouillage de Chef-de-Caux, au voisinage du Cap de la Hève, était, depuis le XIVème siècle, entièrement détruit.
Sur l'ordre de François Ier, le grand amiral de France, de Bonnivet, entreprit un voyage d'études et de recherches sur toutes les côtes normandes et son choix se porta, pour le port à établir, sur le petit hâvre naturel qui s'offrait près du village de Grasse, sur la rive Nord de l'Estuaire, à mi-distance entre Harfleur et la Hève. Ainsi naquit le Hâvre-de-Grâce, qui est devenu aujourd'hui, par un bizarre pléonasme, le port du Hâvre.

Très modestes à l'origine, les ouvrages du Hâvre-¬de-Grâce comprenaient simplement un chenal étroit, sorte d'avant-port défendu par deux jetées et le long duquel étaient établis les chantiers royaux de constructions navales et de réparation. Une tour massive qui, sous le nom de tour François Ier, a subsisté jusqu'à la seconde moitié du XIXème siècle, défendait la jetée Nord et se reliait à un réseau de fortifications enserrant dans d'étroites limites la modeste bourgade qui s'était élevée autour du chantier.

À l'origine donc, le Hâvre était avant tout un port de guerre et il a gardé jusqu'à la fin du XVIIIème siècle un caractère essentiellement militaire. Ce n'est qu'à l'ouverture du port militaire de Cherbourg, en 1801, qu'il cessa d'être Préfecture Maritime et put, dès lors, à la faveur du trafic sans cesse croissant avec l'Amérique et par suite du développement de la navigation à vapeur, prendre très rapidement un développement commercial considérable.
Toute l'histoire du développement du port, jusqu'en 1906, a consisté le plus souvent à reculer ou à modifier les ouvrages fortifiés pour établir de nouveaux bassins ; actuellement, les nouvelles extensions ne peuvent plus se faire que par emprises sur la mer, le long de la rive Nord de l'estuaire.
Le cadre de cette notice ne permet pas de donner l'historique de tous les travaux effectués. Jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, les transformations sont lentes en dépit de l'importance croissante des relations commerciales avec les Indes orientales et les colonies françaises d'Amérique. Richelieu fait creuser le premier bassin qui a gardé le nom de bassin du Roi. La première moitié du bassin du Commerce est livrée â l'exploitation en 1792, c'est le premier exemple d'un ouvrage construit grâce au concours financier du commerce local et c'est en souvenir de cette origine que le bassin reçût son appellation.
Les guerres de la Révolution et de l'Empire et surtout l'application du blocus continental entraînèrent l'arrêt des travaux en exécution, mais ceux-ci furent poursuivis aussitôt la paix conclue en 1815 et la seconde moitié du bassin du Commerce et le bassin de la Barre furent achevés en 1820. De ces travaux, que les finances encore obérées de l'État ne pouvaient soutenir, la ville et le commerce local avaient payé la plus grande part.
Mais après 1830, l'équilibre du budget national se rétablit peu à peu et pour les travaux qui suivent, une collaboration équitable répartit les charges entre l'État et le commerce. Les progrès sont d'ailleurs rapides à partir de 1850. Déjà en 1841-43, le bassin Vauban est livré à l’exploitation ; la navigation à vapeur devient active et, en 1847, est inauguré le premier service postal entre la France et l'Amérique, origine du service si important assuré aujourd'hui par la Compagnie Transatlantique. Le démantèlement des remparts, en 1852, permet à la ville de se développer ; en 1855 le bassin de l'Eure est livré au commerce ; les quais en sont fondés à deux mètres sous basse-mer, profondeur considérable pour l’époque ; aussi, a-t-il pu être conservé, même aujourd'hui, comme bassin des Transatlantiques.
En 1859, le trafic total est de deux millions de tonneaux de jauge, au lieu de un million en 1835 ; il a donc doublé en vingt ans. On achève le bassin Dock en 1859 ; on décide la transformation de la défense du Hâvre ; on rase la citadelle pour terminer au même emplacement, en 1871, un nouveau bassin à flot muni de trois petites formes de radoub : le bassin de la Citadelle.
En 1880, les entrées et sorties atteignent 4 500 000 tonnes mais tous les terrains disponibles sont occupés et de nouvelles extensions vont se faire par emprise sur la mer. Les deux darses du bassin Bellot sont achevées par cet ingénieur en 1887 ; à la même date, se terminent les travaux du canal de Tancarville qui permet aux bateaux fluviaux de descendre jusqu'au Hâvre sans effectuer de navigation maritime. Enfin, la construction d'une série d'ouvrages fut décidée par les lois du 19 mars 1895 et du 2 août 1904 ; ces ouvrages sont aujourd'hui terminés. Deux nouvelles lois, des 11 février 1909 et 23 avril 1919, arrêtèrent de nouveaux programmes, encore en cours d'exécution. La loi de 1895, en particulier, a donné au Hâvre des accès dignes d'un port moderne et c'est un point sur lequel nous croyons utile d'insister.
Durant tout son développement, en effet, le port avait du lutter contre un danger redoutable : le galet. L'entrée était bien protégée contre les sables de l'estuaire par suite de l'intensité même des courants, mais les galets venant du Nord envahissaient constamment le chenal. Ces galets, qui proviennent de la désagrégation par la mer des falaises du Pays de Caux, cheminent du Nord au Sud depuis le cap d'Antifer, par l'effet combiné des lames et des courants. Ils entourent le cap de la Hève et venaient autrefois déborder les jetées du port et former dans le chenal des amoncellements ou « pouliers ». En vain essaye-t-on, comme encore aujourd'hui, d'arrêter leur cheminement par des épis et de limiter le danger en prolongeant sans cesse la jetée. Il fallait toujours en venir au dégagement à bras d'homme, travail particulièrement pénible, servitude imposée aux habitants du Hâvre et ayant d'ailleurs comme contrepartie l'octroi de la part du Roi de nombreux privilèges.
Si l'entrée même était protégée contre les sables, le chenal conduisant à la haute mer et orienté au Sud-Ouest devait passer entre les bancs des hauts de la rade et du Placard et l'exhaussement de ces bancs, quoiqu'assez lent, se produisait régulièrement. Au fur et à mesure du développement de la construction navale, le mouillage offert aux navires devenait plus difficile à assurer.
Pour palier à ces deux inconvénients, la loi du 19 mars 1895 a décidé l'exécution d'un nouvel avant-port avec des jetées convergentes et a reporté en même temps le chenal plus au Nord en l'orientant dans le sens Est-Ouest.
Après quatre siècles de luttes, Le Hâvre voyait ainsi la récompense de ses efforts ; assuré de ses accès, il pouvait, et ce fut l'objet des derniers programmes, travailler en sécurité au développement de ses bassins.

MM. De Puymaly et Le Bourhis
Le Port du Hâvre 1921

La reconstruction de la ville du Hâvre

Fondée en 1517 par le roi François Ier, la ville du Hâvre s'est beaucoup développée au cours de la seconde moitié du XIXème siècle.

Aux vieux quartiers Saint François et Notre-Dame s'étaient ajoutés :
     -- le Centre Administratif et le Quartier des Affaires situés dans un périmètre délimité par la Gare, la sous-préfecture, la Bourse, le Bassin du Commerce et l'Hôtel de Ville,
     -- une partie commerçante et culturelle avec la rue de Paris, les musées, le Théâtre et le quartier des Halles Centrales,
     -- une partie résidentielle, quartier Saint Joseph, boulevard François Ier, boulevard Foch et Jardin Saint Roch.

La seconde guerre mondiale a été cruelle. Après de nombreux bombardements, allemands en mai-juin 1940 et alliés à partir de septembre 1940, le centre ville a été anéanti, le 5 septembre 1944, par des milliers de tonnes de bombes. Cent cinquante hectares étaient rasés. Seule la sauvegarde de l'église Notre-Dame pouvait être envisagée.

À soixante et onze ans, Auguste Perret, un des grands maîtres du béton armé, fut alors nommé Architecte en chef de la reconstruction. Autour de lui s'est constitué un atelier composé de dix-huit architectes choisis parmi ses disciples.
En septembre 1946, le plan d'urbanisme est adopté. La densité de différents quartiers est rééquilibrée. Le plan-masse est constitué d'Îlots implantés et construits selon une trame carrée de six mètres vingt-quatre.
Chaque îlot est étudié en fonction d'un ensoleillement maximal et d'une protection contre les vents dominants.
La réalisation a nécessité une politique nouvelle de remembrement et de copropriété. Les propriétaires sinistrés sont regroupés au sein de la Société Coopérative de Reconstruction François Ier.

 En mars 1947, commençait la construction des I.S.A.I. (Immeubles sans affectation individuelle) situés au Sud de l'Hôtel de Ville.
II s'agit d'un ensemble constitué d'immeubles bas et de six tours où Perret a mis en œuvre ses théories.
Construction d'une grande ordonnance de volumes sobres bien affirmés ayant la tenue et la sûreté des proportions d'une œuvre classique. Adoption de modules adaptés à l'échelle de la ville et des logements.

L'ossature, traitée en béton bouchardé, est agrémentée de colonnes avec chapiteaux très stylisés et de balcons continus harmonieusement répartis sur la hauteur.
Les remplissages sont constitués de cadres de baies et de plaques de béton colorées par des agrégats noyés dans la masse.
Avec l'Hôtel de Ville et sa tour de cinquante mètres de hauteur, achevé en 1958, quatre ans après la mort d'Auguste Perret, il y a création d'un grand ensemble harmonieux avec des bâtiments qui se découpent dans un ciel célèbre par ses coloris variés.
Les îlots de la rue de Paris, du front de mer Sud, de l'avenue Foch, et de la Porte Océane sont construits selon le même principe, mais sont marqués par la personnalité des différents architectes.
La tour de l'église Saint Joseph qui atteint cent six mètres de hauteur met un accent sur cette reconstruction exemplaire d'une grande unité, exempte de monotonie.

Pendant les travaux et après l'achèvement, en 1963, l’œuvre a fait l'objet de nombreuses publications. Des visiteurs français et étrangers sont venus pour admirer cette ville nouvelle considérée comme la plus grande réussite de la reconstruction française.
II fallait faire vivre cette œuvre harmonieuse, cartésienne, d'aspect un peu froid et austère, réalisée en quinze ans.
La ville n'a pas connu le développement espéré.
Depuis quelques années, des dispositions sont prises pour donner de l'animation.
Les abords de la place de l'Hôtel de Ville se transforment, la rigueur et l'unité disparaissent.

II y a un équilibre à trouver pour donner, sans le défigurer, de la chaleur à cet ensemble architectural qui est une réussite et qui doit servir de centre de développement de la cité magnifiquement située dans un cadre apprécié des artistes.
Jacques NEUVILLE

Bonnes notes au Hâvre

L'histoire de la musique au Hâvre se réduit à peu de choses. Les noms des gloires locales tels que Loucheur et Woolet ne sont évocateurs que pour les spécialistes. Deux musiciens ont eu un rayonnement national : Arthur Honegger né au Hâvre et André Caplet. Fauré venait souvent au Hâvre voir un ami mais ni son nom, ni une de ses œuvres, reste attaché à la ville.
Par contre la vie musicale était intense avant-guerre : quatre cents personnes étaient abonnées aux opéras et grands concerts. Ninon Vallin a interprété la « Damnation de Faust », et Maurice Ravel a dirigé l'orchestre du théâtre devant mille cinq cents spectateurs. Le théâtre employait en permanence cent cinquante à cent quatre vingt personnes.
Maintenant Gérard Lecoq qui dirige l'École Nationale de Musique et de Danse instruit mille huit cents élèves dans plus de vingt cinq spécialités d'où émergent parfois de jeunes talents qui méritent d'être poussés... II est aidé en cela par cinquante cinq professeurs demeurant pour la plupart au Hâvre, ce qui contribue à resserrer les liens avec les élèves et tend à favoriser la permanence d'une vie culturelle dans la cité. La contribution de cette école à la saison culturelle n'est pas négligeable puisque, conduite par son directeur, elle assure quelques spectacles, réunit parfois l'ensemble des chorales hâvraises pour des manifestations grandioses (plus de quatre cents participants) ou accompagnent des solistes de renommée internationale qui viennent au Hâvre.
Par ailleurs, après leur fusion en 1979, la « Lyre Hâvraise » fondée en 1864 et « La Gamme », fondée en 1939 prirent le nom « Chœurs A Caplets », et en diffusant des œuvres méconnues jusqu'alors, ont acquis une réputation internationale. Récemment sous la direction de Jean Legoupil, personnalité locale qui « passe » maintenant sur les ondes nationales, ils ont interprété le « Roi David » de Honegger à la Cathédrale Notre Dame.
Tout cela déjà permet de satisfaire bien des exigences.
Philippe Langlet a des satisfactions du même ordre avec l'Orchestre d'Harmonie de la ville. Il y ajoute la fierté d'avoir été le seul orchestre de France sélectionné par M. Molenaar, un des plus grands éditeurs de musique au monde, pour enregistrer un disque compact diffusé à cinquante mille exemplaires.
Georges POULET

La Société Hâvraise d'Études Diverses

Le Hâvre, port de guerre puis de commerce, ne se développa vraiment qu'après le Premier Empire et sa population sera toute entière tournée vers son port et les activités qui en découlent. Cela peut expliquer l'apparition tardive dans cette cité de sociétés savantes ; si l'on excepte une éphémère « académie des Anonymes » de douze membres s'occupant surtout de poésie fondée vers 1670 sous l'impulsion du gouverneur local, le Duc de Saint Aignan.
II faudra attendre le second quart du XIXème siècle pour que, quelques Hâvrais sentent le besoin de disciplines différentes du négoce et de tout ce qui touchait à la navigation. Cinq d'entre eux : MM. Baltazard, Chouquet, Millet, Saint-Pierre et le docteur Lecadre se réunissent le 18 septembre 1833 dans une maison de la rue Caroline (actuellement rue Racine) pour étudier une liste de personnes dignes de s'associer pour créer une académie Hâvraise.
Au cours de trois réunions suivantes un règlement sera élaboré, une liste de seize membres fondateurs sera dressée, une cotisation annuelle de quarante francs-or sera fixée tandis que le nom de «Société Hâvraise d'Études Diverses» sera choisi. La séance du 27 novembre 1833 sera la première de travail officiel de la société. Dès 1834, le nombre de sociétaires dépassera le chiffre de vingt. Ce fût aussi l'époque où l'on ajouta aux statuts la formule : « Tous les genres sont admis, sauf la politique et les opinions religieuses ». Formule prudente et sage qui préserve l'amitié et l'estime entre les sociétaires, que les genres récusés auraient pu diviser.
En 1841, des membres non résidents et correspondants sont admis. Le 12 mai de la même année l'abbé Jean-Benoît-Désiré Cochet est admis. En 1855, la Société Hâvraise d'Études Diverses est reconnue d'utilité publique. Ses séances se poursuivent, des membres nouveaux qui seront célèbres un peu plus tard sont admis : MM. Félix Faure le 11 février 1870, Jules Siegfried le 24 novembre 1871 puis Robert Le Minihy de La Villehervé, jeune poète, romancier et auteur dramatique ; l'avocat René Coty sera membre de la Société dès 1919.
En 1895, il y a soixante et onze membres résidents, cent dix membres correspondants et cent quatre vingt sociétés correspondantes. En 1917, la Société organise la cérémonie du quatrième centenaire de la fondation du Hâvre. En 1920, la Société s'installe dans la salle où elle se trouve encore actuellement, en l'hôtel des Sociétés Savantes que la ville vient d'acheter. En 1933, année du centenaire, elle publie un gros volume commémorant l'événement.
La guerre interrompt les activités de juin à novembre 1940 ; le président, le chanoine Blanchet, étant nomme évêque de Saint-Dié en 1941, c'est le vice-président l'avocat Edgard Poulet qui anime la Société, ce dernier sera élu président de 1947 à 1949, dès que les nominations des membres des bureaux des sociétés reconnues d'utilité publique seront à nouveau permises. Mgr Blanchet sera le second sociétaire devenant évêque, après Mgr Julien nommé évêque d'Arras en 1917.
Dans ses dernières années la Société Hâvraise d'Études Diverses publia les comptes-rendus de ses travaux, et, depuis de nombreuses années les textes complets de communications choisies après avoir été lues en séance. Les recueils sont remis aux membres et adressés aux correspondants français et étrangers. La Société Académique du Hâvre correspond en effet avec nombre de sociétés savantes dont beaucoup représentent l'élite de la région ou du pays où elles se trouvent. En novembre 1983, la Société Hâvraise d'Études Diverses a célébré le cent cinquantième anniversaire de sa fondation ; elle comptait alors cinquante huit membres actifs, vingt deux membres honoraires et plus de cent membres et sociétés correspondants. Un siècle et demi déjà de vie studieuse pour la société académique du Hâvre ; souhaitons lui encore une longue et fructueuse carrière.
Henri Landemer

L'association des amis du vieux Hâvre

C'est un Amiénois, Pierre Dubois, qui fut à l'origine de la fondation en 1920 de l'Association des Amis du Vieux Hâvre. Mobilisé au Hâvre pendant la Grande Guerre, il avait su communiquer sa flamme pour les monuments à des membres de la Société Hâvraise d'Études diverses à qui il reprochait de ne jamais aller « sur le terrain ».
L'Association se forma autour du Dr Leroy, historien et de Robert Mauger, archéologue, avec le concours d'Alfred Soclet, ingénieur et photographe de talent et de Me Edgard Poulet. En 1927, elle atteignait deux cents membres et ses activités consistaient surtout en excursions à dominante monumentale ; mais elle publiait aussi un recueil où l'on trouvait également des études historiques.
Pendant la guerre, à l'initiative de son secrétaire, Georges Priem et d'Edgard Poulet qui assurait la présidence, elle participa au sauvetage des vestiges du passé de la ville. Elle reprit ensuite ses activités qui s'orientèrent plutôt vers des réunions en salle, avec une seule excursion par an, et reprit la publication du recueil. Après avoir conquis de nombreux adhérents, elle devait de nouveau péricliter.
Depuis 1981, sous la présidence de Philippe Maneville, elle est entrée dans une phase de renouveau. Elle atteint maintenant deux cents membres et a diversifié ses activités : séance mensuelles, conférences publiques, visites d'expositions, de musées, de monuments du Hâvre et de la région ; elle a ouvert une section d'histoire maritime et portuaire et une section de généalogie. À son recueil imprimé annuellement (40 pages environ), elle a ajouté un bulletin de liaison ronéotypé (30 pages chacun) où paraissent comptes rendus de causeries, articles, éléments d'un guide du chercheur en histoire du Hâvre (sources, bibliographie, iconographie), informations culturelles.
Elle a inscrit parmi ses missions celle de faire connaitre ou de rappeler le souvenir de ceux qui ont honoré la ville comme de certains moments de son histoire. Elle prépare des expositions, comme celles sur l'écrivain Julien Guillemard, le professeur Marcel Hérubel fondateur de l'économie maritime, l'écrivain Georges Godefroy.
Société savante, donc de recherche et de publication, elle dispose d'un centre de documentation actuellement en classement et réorganisation, et veut devenir un lieu privilégié de relations où chercheurs et amateurs puissent se rencontrer, échanger informations et projets, trouver conseils et aide.
Mais elle se veut aussi société de vulgarisation pour le grand public pour informer, faire connaitre les travaux sur Le Hâvre et la région dans les domaines de l'histoire, de l'archéologie monumentale et de l'ethnographie. Elle se veut ouverte à tous, sans exclusive de milieux, de niveaux ou d'âge.
Henri Landemer

L'institut hâvrais de sociologie et de psychologie des peuples

L'institut hâvrais de sociologie et de psychologie des peuples fut créé dans les années 1937-1938 par Abel Miroglio, professeur agrégé de philosophie au lycée du Havre, ancien élève de l'École Normale Supérieure et de l'École des Langues Orientales.
Le but que se proposait le fondateur était de contribuer à faire connaître et progresser les disciplines scientifiques auxquelles l'institut se consacrait.
« À l’écart des luttes politiques, peut-on lire dans les statuts, l'Institut en cultivant ces deux disciplines (la sociologie économique et la psychologie des peuples), est animé du souci de contribuer à la restauration de l'équilibre économique national et universel, et de servir la cause morale d'une meilleure compréhension réciproque des collectivités humaines. »
André Siegfried avait accepté la présidence d'honneur de l'institut naissant et prononça plusieurs conférences devant un public nombreux.
Car parmi les activités de l'institut hâvrais venaient tout d'abord les conférences.
Par ailleurs, des journées d'études réunissaient en été des étudiants, de jeunes professeurs, des hommes d'affaires ayant « de l'avenir dans l'esprit », auxquels se joignaient, moyennant une somme modique, toutes les personnes intéressées. Pendant une semaine, les conférences quotidiennes alternaient avec les entretiens ou les sorties organisées. Un concert était souvent donné au cours d'une soirée.
Citons quelques thèmes traités dans ces journées : l'Europe à construire (1949) ; les relations triangulaires entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne (1952) ; les problèmes de l'Eurafrique (1954) ; les images de la France (1960) etc.
Enfin, à partir de 1946, fut lancée la revue de Psychologie des peuples, qui a été rebaptisée Ethnopsychologie en 1970. Cette revue a été diffusée dans soixante pays différents, dont la Chine, le Japon, les U.S.A. (de très nombreuses universités s'y sont abonnées), l'ex-U.R.S.S., les divers États d'Amérique du Sud, d'Afrique, d'Australie.
Il apparut après quelques années qu'une seconde revue portant uniquement sur la sociologie économique devait être lancée, et c'est en 1959 que fut publié le premier numéro des Cahiers de Sociologie Économique. Des économistes de l'université de Caen, des Hâvrais, des Rouennais et des personnalités connues du monde économique ont écrit dans ces Cahiers qui ont parut en plusieurs séries.
Abel Miroglio voulant terminer le gros ouvrage qu'il a entrepris : «L'Europe et ses populations », laisse en 1971 la direction de l'institut Hâvrais et des revues ; il est remplacé par Bernard Guillemain, professeur de philosophie â l'université de Rouen.
Henri Landemer

Histoire du Hâvre et de l'Estuaire de la Seine

L'histoire du Hâvre – et son avenir – est indissociable d'une connaissance de l'Estuaire de la Seine. Il s'agit, avant tout, d'un mouvement dialectique entre une ville nouvelle et un environnement d'abord rétif, puis conquis, enfin dépendant de l'activité de la cité et de son port.
Ville nouvelle, Le Hâvre l'est assurément. Elle garde de sa création tardive par le roi François Ier et ses ingénieurs, l'Amiral Bonnivet et le gouverneur Du Chillou, puis plus tard, l'Amiral de Coligny, Richelieu et Colbert, le caractère d'une intruse dans le tissu des villes et cités normandes... Mais c'est aussi l'une des rares réussites de ce type. Le Hâvre n'est pas une création ex-nihilo, une ville-champignon à l'américaine : c'est une ville nouvelle dans « un monde plein » et sa réussite en est d'autan plus remarquable !
Remarquable encore est le fait que, longtemps confinée dans le rôle stérilisant d'une place militaire, longtemps tenue en tutelle par les marchands et armateurs rouennais, Le Hâvre soit parvenue, comme l'éclosion d'un bourgeon au printemps, à surmonter ses handicaps, se libérer des pesanteurs et, enfin, se lancer à la conquête de l'océan.
On ne sait s'il faut plus louer la ténacité d'une population qui jamais ne désespéra, ou s'il faut s'extasier sur les « chances » exceptionnelles d'un site promis à un tel destin… C'est la saga des négociants et des notables hâvrais qui, pendant le XIXème siècle, firent de la cité et de son port la Porte Océane. Mais c'était aussi une vile éminemment populaire et c'est justement par son petit peuple que Le Hâvre a acquis une identité au XIXème et aux XXème siècles : elle plaît ou elle déplaît, mais c'est un fait et il y a une indiscutable continuité entre son refus du Second Empire et son monolithisme politique d'aujourd'hui.
Monolithisme dont les contrepoints ont nom René Coty, Pierre Courant et tant d'autres qui ont appris à composer tout en s'opposant.
L'histoire a constamment ponctué l'aventure hâvraise – et, en cela, c'est une ville nouvelle tout à fait originale dans la mesure où elle n'est pas sans passé comme ses homologues d'outre-Atlantique – et des bombardements anglais du Grand Siècle jusqu'à l'écrasement de 1944, cette « ponctuation de l'histoire » ressemble à un véritable pilonnage. Cependant, la ténacité des habitants et la pesanteur d'un destin inscrit dans la situation géopolitique de la cité ont permis au Hâvre de devenir la métropole qu'elle est aujourd'hui.
On en arrive naturellement à s'interroger sur l'avenir du Hâvre : Le Hâvre sera la métropole d'avenir de la Normandie ou la Normandie ne sera pas. Tant pis pour certains rouennais qui éprouvent des nostalgies désuètes, rêvant encore à l'époque où ils pouvaient, par leur seule pression, tenir Le Hâvre dans une juteuse dépendance : ils laissent passer leur propre chance.
En effet, Le Hâvre, c'est l'Estuaire, c'est la Basse-Seine. Non pas la Basse-Seine des années soixante, celle qui était ordonnée autour de Rouen et qui a échoué dans le marasme actuel. II s'agit de la Basse-Seine de l'an 2000, dont Le Hâvre sera le phare et la locomotive.
Belle leçon de prospective, et s'il en est pour douter, qu'on veuille bien accueillir comme un signe déterminant l'attitude de la plus vieille institution qui demeure, l'Église, qui, la première, en élevant Le Hâvre au rang d'évêché, a compris qu'il s'agissait d'une métropole du présent et de l'avenir.
Didier Patte